Sommes de carrés

Après avoir étudié la question des nombres pouvant s’exprimer comme une différence de carrés, la suite évidente et très naturelle est celle-ci :

Quels nombres peuvent s’écrire comme une somme de carrés ?

La réponse, dans ce cas-ci, est beaucoup plus difficile que précédemment. Heureusement pour nous, les nombres exprimés comme une somme de carrés sont un résultat classique de la théorie des nombres exposé dans tout bon livre sur le sujet.

Un nombre c>1 peut s’écrire comme une somme de carrés strictement positifs si c ne comporte pas, dans sa factorisation première, un facteur premier de la forme 4n+3 élevé à une puissance impaire et si c n’est pas une puissance de 2 élevée à un exposant pair.

Petite remarque préliminaire : je dois avouer que j’ai réfléchi pendant un bon moment à comment présenter une démonstration élémentaire de ce résultat qui serait accessible à des élèves ou des étudiants et qui serait contenue dans une seule publication sur ce blogue. Comme je ne suis pas satisfait du résultat, la démonstration demeurera, pour l’instant, au statut de brouillon, et fera l’objet d’une autre publication plus tard. Le lecteur sceptique peut néanmoins consulter ces références en attendant : [1], [2], [3] et [4].

Une pièce importante du casse-tête est celle-ci, due à Fermat : tout nombre premier de la forme 4n+1 peut s’exprimer comme une somme de carrés d’une façon unique. Les nombres premiers de la forme 4n+3, quant à eux, ne peuvent pas s’exprimer comme une somme de carrés. Il reste le nombre premier 2 qui ne fait partie ni de la première catégorie ni de l’autre, mais puisque 2=12+12le nombre premier 2 a sa propre représentation en somme de carrés. La table de valeurs suivante consigne les sommes de carrés uniques pour tous les nombres premiers de la forme p=4n+1 (ainsi que pour 2) avec p<1000 [5].

La deuxième pièce importante du casse-tête est l’identité de Diophante (parfois aussi appelée l’identité de Brahmagupta–Fibonacci) : (x2+y2)(w2+z2)=x2w2+x2z2+y2w2+y2z2=(xw)2+(yz)2+(xz)2+(yw)2=(xw)2+2xywz+(yz)2+(xz)22xywz+(yw)2=(xw+yz)2+(xzyw)2Cette identité nous permet d’exprimer un produit de sommes de carrés en une somme de carrés (x2+y2)(w2+z2)=(xw+yz)2+(xzyz)2Il apparait donc possible de calculer la factorisation première d’un nombre, puis, si les facteurs premiers sont de la bonne forme, d’exprimer, en plusieurs étapes au besoin, les produits de facteurs premiers en sommes de carrés.

Le lecteur aguerri aura peut-être remarqué qu’il est aussi possible d’obtenir cette identité(x2+y2)(w2+z2)=x2w2+x2z2+y2w2+y2z2=(xw)2+(yz)2+(xz)2+(yw)2=(xw)22xywz+(yz)2+(xz)2+2xywz+(yw)2=(xw+yz)2+(xzyw)2En général, il est donc possible d’exprimer le produit de deux sommes de carrés en deux sommes de carrés différentes. Par exemple, 221=1317=(4+9)(1+16)=(22+32)(12+42)=(21+34)2+(2431)2=142+52=(22+32)(12+42)=(2134)2+(24+31)2=(10)2+112=102+112Le nombre 221 s’écrit donc de deux façons différentes comme une somme de carrés 221=142+52=102+112Notons enfin qu’il est possible d’éviter d’utiliser la deuxième identité (x2+y2)(w2+z2)=(xwyz)2+(xz+yw)2 et de n’utiliser que la première (x2+y2)(w2+z2)=(xw+yz)2+(xzyw)2car, en réalité, on obtient le même résultat en échangeant w et z dans la première (une simple manipulation algébrique convainc). En reprenant l’exemple numérique de 221, on obtient 221=(22+32)(12+42)=(22+32)(42+12)=(24+31)(2134)=112+(10)2=112+102

Petit détail concernant 2=12+12. Dans ce cas x=y (ou w=z, peu importe) et cela ne génère pas deux sommes différentes. Par exemple, 146=273=(1+1)(9+64)=(12+12)(32+82)=(13+18)2+(1813)2=112+52=(12+12)(82+32)=(18+13)2+(1318)2=112+(5)2=112+52Il est aussi inutile d’utiliser l’identité de Diophante si les deux nombres premiers sont 2 22=22=(12+12)(12+12)=(11+11)2+(1111)2=22+02=22

La dernière pièce du casse-tête vient du fait que si c=(ad)2+(bd)2 alors c=d2(a2+b2)avec une simple mise en évidence. Ainsi, un nombre peut posséder dans sa factorisation première des facteurs premiers de la forme 4n+3, si ceux-ci sont présents un nombre pair de fois chacun.

On considère un nombre c=d22αp1βp2γ  pnωdans lequel d2 est le produit des facteurs premiers de la forme 4n+3 (tous nécessairement présents un nombre pairs de fois) et p1, p2, … , pn sont les facteurs premiers de la forme 4n+1. Le facteur 2=12+12 a sa place particulière dans cette factorisation. On calcule x=(β+1)(γ+1)(ω+1). Si x est pair, il y a 12x sommes de carrés possibles. Si x est impair, cela implique que chaque facteur pi est présent un nombre pair de fois (il pourrait même être possible qu’il n’y ait aucun facteur de la forme 4n+1 et dans ce cas on poserait β=0, γ=0, … , ω=0, et on obtiendrait x=1). Si α est pair aussi, le nombre c est un carré et il y a 12(x1) sommes de carrés possibles. Si α est impair, alors il y a 12(x+1) sommes de carrés possibles. [6]

Corollaire : si c est une puissance de 2, alors il y a une seule façon de l’exprimer comme une somme de carrés si l’exposant est impair et aucune façon si l’exposant est pair.

Considérons enfin ces quelques exemples numériques.

8918

La factorisation première de 8918 étant 27313, et on constate qu’un facteur premier de la forme 4n+3, dans ce cas précis, 7=4(1)+3, est présent un nombre impair de fois. Le nombre 8918 ne peut donc pas s’exprimer comme une somme de carrés.

6984

La factorisation première de 6984 est 233297. Dans ce cas, le nombre premier de la forme 4n+3, soit 3, est présent un nombre pair de fois. Le nombre premier 97 est un nombre premier de la forme 4n+1. On peut donc écrire 6984=(23)2(297)Il n’y aura donc qu’une seule façon ((1+1)2=1) d’écrire le nombre 6984 comme une somme de carrés. 6984=62(297)=(12+12)(42+92)=62((14+19)2+(1914)2)=62(132+52)=782+302

5945

La factorisation première de 5945 est 52941. Il y a trois facteurs premiers de la forme 4n+1 affectés d’un exposant 1 et cela implique qu’il y aura (1+1)(1+1)(1+1)2=4 sommes différentes. D’abord, on note que 5945=52941=(12+22)(22+52)(42+52)=((12+25)2+(1522)2)(42+52)=(122+12)(42+52)=(124+15)2+(12514)2=532+562=(122+12)(52+42)=(125+14)(12415)=642+432=(22+12)(22+52)(42+52)=((22+15)2+(2512)2)(42+52)=(92+82)(42+52)=(84+85)2+(9584)2=762+132=(92+82)(52+42)=(95+74)2+(9485)2=772+(4)2=772+42

29768

La factorisation première de 29768 est 23612. Le seul facteur de la forme 4n+1, 61, est présent un nombre pair de fois alors que le facteur 2 est présent un nombre impair de fois. Il y a donc (2+1)+12=2 façons d’exprimer 29768 comme une somme de carrés. 29768=23612=222612=21222=1222+1222=236161=23(62+52)(52+62)=23((65+56)2+(6655)2)=222(602+112)=22(12+12)(602+112)=22((160+111)2+(111160)2)=22(712+(49)2)=1422+982

[1]Hardy, Godfrey H. et Edward M. Wright, An Introduction to the Theory of Numbers, 2008, Oxford University Press, 6e édition

[2]Niven, Ivan, Herbert S. Zuckerman et Hugh L. Montgomery, An Introduction to the Theory of Numbers, 1991, Wiley, 5e édition

[3]Andrews, George E., Theory of Numbers, 1994, Dover

[4]Mathologer, Why was this visual proof missed for 400 years? (Fermat’s two square theorem), https://www.youtube.com/watch?v=DjI1NICfjOk

[5]Charles Hermite propose l’algorithme suivant (qu’on énonce sans démonstration) : Pour trouver a et b tels que a2+b2=pp est de la forme 4n+1, on trouve le plus petit z tel que z21 mod ppuis on applique l’algorithme d’Euclide à z et p et on s’arrête dès qu’on obtient deux nombres a et b inférieurs à p. Hermite à montré que ces a et b sont ceux qu’on cherche. Par exemple, pour p=157, on trouve que le plus petit z pour lequel z1 mod 157 est z=28 car 282=784=157(5)11 mod 157On applique ensuite l’algorithme d’Euclide avec 28 et 157. On s’arrête dès que les nombres sont inférieurs à 15712,53.(28, 157)(28, 17)(11, 17)(11, 6)Voilà ! On constate que 112+62=157

[6] Weisstein, Eric W., Sum of Squares Function, From MathWorld–A Wolfram Web Resource.  https://mathworld.wolfram.com/SumofSquaresFunction.html

Différences de carrés

Quels nombres entiers c>0 peuvent s’exprimer comme une différence de carrés ? De combien de manières différentes ?  Comment trouver de telles différences, concrètement ?

Le nombre c est un multiple de 4

On considère l’expression c=a2b2=(a+b)(ab)Si a et b sont tous les deux pairs, alors a+b et ab sont pairs aussi. Et si a et b sont tous les deux impairs, a+b et ab sont quand même pairs car la somme ou la différence de nombres impairs est paire. En d’autres mots, si a et b sont de même parité, a+b et ab sont pairs.

On pose a+b=2xetab=2yOn obtient c=(2x)(2y)=4xyet on déduit que c est non seulement un nombre pair, c’est un multiple de 4. Cela nous permet aussi de trouver la ou les valeurs de a et b pour un certain c. a+b=2xab=2yEn additionnant les équations on obtient 2a=2x+2ya=x+y et en soustrayant les équations on obtient 2b=2x2yb=xyAinsi, si on désire exprimer un multiple de 4 comme une différence de carrés, on doit d’abord factoriser le nombre comme un produit de deux nombres pairs 2x et 2y afin de trouver les valeurs de x et de y, puis celles de a et b. Il y a autant de différences différentes que de produits de facteurs pairs différents. Un exemple numérique s’impose.

Le nombre  312 s’exprime-t-il comme une différence de carrés ? De combien de manières différentes ? On note que 312=156×2=78×4=52×6=26×12(Notez que des produits tels que 321=39×8 ou 312=24×13 n’apparaissent pas dans la liste car dans ces produits un des deux facteurs est impair.) Le produit 312=156×2=2(78)×2(1)nous donne les valeurs de x=78 et y=1, puis de a=78+1=79 et b=781=77 et la différence 312=792772Le deuxième produit 312=78×4=2(39)2(2)génère les valeurs x=39 et y=2 et donc a=39+2=41 et b=392=37 menant à la différence 312=412372Enfin, les deux derniers produits 312=52×6=2(26)×2(3)et 312=26×12=2(13)×2(6)nous permettent de déduire les valeurs de x, y, a et b afin d’obtenir les différences 312=292232et312=19272Ce sont les quatre différences correspondant aux quatre produits.

On considère la factorisation première de c c=2αp0βp1γpnωdans laquelle les pi sont les facteurs premiers impairs. On peut trouver le nombre de différences (qui est égal au nombre de produits) en calculant le nombre de diviseurs (mais en réservant tout de même deux facteurs 2 pour s’assurer d’avoir deux facteurs pairs) et en divisant par 2 pour obtenir des paires de diviseurs. Le nombre de différences correspond donc à #=(α2+1)(β+1)(γ+1)(ω+1)2si le nombre n’est pas un carré parfait. Si le nombre est un carré parfait qui se divise par 4, il possède un nombre impair de diviseurs et on utilise #=(α2+1)(β+1)(γ+1)(ω+1)12En outre, on peut éviter cette exception ingrate des carrés parfaits avec une partie entière : #=[(α2+1)(β+1)(γ+1)(ω+1)2] dans laquelle [x] est la partie entière de x (généralement notée x par les anglais).

Le nombre c est impair

c=a2b2=(a+b)(ab)Si a et b sont de parités différentes, alors a+b et ab sont tous les deux impairs. On déduit que le nombre c est le produit de deux nombres impairs : c’est donc un nombre impair. On peut poser a+b=2x+1 et ab=2y+1 et à l’instar de ce qu’on a fait précédemment, on peut résoudre le système d’équations a+b=2x+1ab=2y+1Si on additionne les deux équations, on obtient 2a=2x+2y+2ce qui fait a=x+y+1et si on soustrait les deux équations on obtient 2b=2x+1(2y+1)=2x2yce qui fait b=xyAinsi, si on désire exprimer un nombre impair comme une différence de carrés, on doit d’abord factoriser le nombre en deux facteurs impairs afin de trouver les valeurs de x et de y puis de celles de a et b. Il y a autant de différences différentes que de produits de facteurs impairs différents.

Le nombre 105 s’exprime-t-il comme une différence de carrés ? On note que 105=105×1=35×3=21×5=15×7Le premier produit 105=105×1 peut sembler trivial, mais en posant 2x+1=105, on obtient x=52, puis en posant 2y+1=1, on obtient y=0. Cela nous permet ensuite de calculer les valeurs de a=52+0+1=53 et de b=520=52 ce qui nous donne la différence de carrés 105=532522(On note au passage que tout nombre impair s’exprime toujours comme la différence des carrés de deux nombres consécutifs car (k+1)2k2=k2+2k+1k2=2k+1Ainsi, le ke nombre impair est la différence entre le ke carré et le (k1)e carré.)

Le deuxième produit 105=35×3nous permet de poser 2x+1=35 et trouver x=17 et 2y+1=3 et trouver y=1. Cela nous permet ensuite de calculer a=17+1+1=19 et b=171=16 afin de trouver la différence 105=192162Le produit 105=21×5nous permet quant à lui de poser 2x+1=21 et trouver x=10 et 2y+1=5 et trouver y=2. Le calcul de a=10+2+1=13 et de b=102=8 génère la différence 105=13282Enfin, le produit 105=15×7nous permet de générer la différence 105=11242

On considère la factorisation première de c c=p0αp1βp2γpnωdans laquelle les pi sont les facteurs premiers impairs (notez l’absence de facteur 2). À l’instar de ce qu’on a fait dans la section précédente, on calcule la moitié du nombre de diviseurs #=(α+1)(β+1)(γ+1)(ω+1)2si le nombre n’est pas un carré parfait. Si le nombre est un carré parfait impair, on utilise #=(α+1)(β+1)(γ+1)(ω+1)12On évite encore l’exception des carrés parfaits avec une partie entière : #=[(α+1)(β+1)(γ+1)(ω+1)2]

En corolaire, puisque qu’un nombre premier ne se divise que par 1 et lui-même, un seul produit est possible, un produit de la forme c=p×1et donc tout nombre premier impair peut être représenté comme une différences de carrés de manière unique. Quelques étapes algébriques nous permettent de trouver 2x+1=px=p122y+1=1y=0a=x+y+1=p12+0+1=p+12b=xy=p120=p12Ainsi, p=(p+12)2(p12)2Le lecteur aguerri aura remarqué que puisque l’écart entre les nombres p+12 et p12 est 1, cela correspond à une différence des carrés de deux nombres consécutifs tel que vu plus haut, et donc pour un nombre premier impair p, il s’agit de la seule différence possible.

Le nombre c est un nombre pair qui ne se divise pas par 4

Les nombres pairs non-divisibles par 4 sont les laissés-pour-compte.c=a2b2=(a+b)(ab)

Si c est un nombre pair qui ne se divise pas par 4, alors c comporte dans sa factorisation première un seul et unique facteur 2. Cela implique que a+b est pair et ab est impair ou inversement, a+b est impair et ab est pair. En d’autres mots, a+b et ab sont de parités différentes.

Si a+b est pair, alors a et b sont de même parité. Dans ce cas, ab doit être impair, et a et b doivent être de parités différentes, une contradiction.

Si a+b est impair, alors a et b sont de parités différentes. Dans ce cas, ab doit être pair, et a et b doivent être de même parité, une contradiction.

En outre, dans le cas d’un nombre pair non divisible par 4, il n’y a aucune différence de carrés possible.

Cuvée 3.14

Vin du nouvel an

Bonne année en retard ! La cuvée 3.14 de Foillard est un petit délice que j’ai eu la chance de boire entre amis le soir du nouvel an (avec en prime un calembour mathématique).

Côte du Py  Côte du π

Peut-être le plus grand vin du Beaujolais ? La remarquable cuvée 3.14 de Foillard est issue de vignes de plus de 100 ans de la colline volcanique de la Côte du Py et uniquement dans les meilleurs millésimes. Ce vin éthéré et élégant, produit en quantités minuscules, est exceptionnellement rare. Dans une leçon magistrale d’équilibre, Foillard parvient à faire ressortir des arômes incroyablement complexes et toute la profondeur du fruit, tout en conférant à son vin une texture légère, séduisante et soyeuse.

Traduit et adapté de : https://cellanextdoor.com