Partage équitable

Saviez-vous que dans un triangle, il existe toujours au moins une droite qui partage le périmètre et l’aire en deux parties égales en même temps ?

L’aire

On considère un point P dans un triangle ABC quelconque. Soit une droite qui passe par P et qui divise le triangle en deux régions. Sur le schéma ci-dessous, on a colorié les deux régions en rouge et en vert. On pose K l’aire du triangle ABC. L’aire du triangle rouge est rK et celle du quadrilatère vert est (1r)K avec, bien entendu, 0<r<1. Si les deux régions, la rouge et la verte, ont la même aire, c’est-à-dire si r=1r=12, alors on a gagné ! Cette droite fait l’affaire, inutile de cherche plus loin !thedudeminds_2015082602

Si les deux régions n’ont pas la même aire, comme c’est fort probablement le cas, voici comment on procède [1]. On effectue la rotation (par exemple, antihoraire) de la droite, autour du point P. Lorsque la droite tourne autour du point P, les aires changent. Si l’aire de la région rouge change, passant de rK à r1K, celle de la verte change aussi, passant de (1r)K à (1r1)K.thedudeminds_2015082603

Qu’arrive-t-il à la valeur de r lorsque la droite effectue un demi-tour ? Les régions rouge et verte s’intervertissent leur rôle. La droite étant envoyée sur elle-même grâce à la rotation de 180° de centre P, la région rouge, initialement d’aire rK, devient la région d’aire (1r)K, et vice-versa pour la région verte (initialement d’aire (1r)K, elle devient la région d’aire rK). Si r est au départ inférieur à 12, alors 1r est supérieur à 12 et, réciproquement, si r est au départ supérieur à 12, alors 1r est inférieur à 12. En passant de manière continue de r à r1, la valeur intermédiaire de 12 est certainement atteinte.

Le périmètre

Un raisonnement semblable peut être appliqué pour trouver une droite qui divise le périmètre en deux parties de même longueur.thedudeminds_2015082604

En effectuant la rotation de la droite autour du point P, les segments rouges et verts s’intervertissent leur rôle.thedudeminds_2015082605

Il est donc possible de trouver une droite qui divise le périmètre en deux parties de même longueur pour une certaine position intermédiaire. On note cependant qu’il ne s’agit pas, en général, de la même droite qui divise aussi l’aire en deux régions de même aire. On note aussi au passage que cet argument peut s’appliquer à n’importe quel polygone convexe, pas seulement au triangle !

L’aire et le périmètre, en même temps.

Voici donc comment trouver une droite qui divise l’aire et le périmètre en même temps. On commence par trouver une droite qui divise le périmètre en utilisant, par exemple, la méthode décrite ci-dessus. Dans le triangle ABC ci-dessous, d’aire K, on considère une telle droite QR. Cette droite divise le triangle en deux régions, une à gauche de la droite, d’aire rK, et l’autre à droite de la droite, d’aire (1r)K.thedudeminds_2015082606

Si la droite QR divise aussi l’aire du triangle, c’est-à-dire si r=1r=12, on a gagné ! La droite QR fait l’affaire. Si ce n’est pas le cas, et ce n’est probablement pas le cas, on détermine un sens à la rotation, par exemple antihoraire, et on déplace Q sur le périmètre du triangle sur d’une distance δ jusqu’à Q1. Pour que la droite partage toujours le périmètre, on déplace aussi R sur le périmètre du triangle, dans le même sens, sur une distance de δ jusqu’en R1. thedudeminds_2015082608

La nouvelle droite Q1R1 partage toujours le périmètre, tout comme la droite QR originale. Qu’arrive-t-il si on prend le demi-périmètre du triangle comme valeur de δ ? Le point R est envoyé en Q et vice-versa. La région à gauche de la droite se retrouve à droite de celle-ci et vice-versa. Autrement dit, l’aire de la région qui était au départ à gauche est passée de rK à (1r)K. L’aire de la région qui était au départ à droite est passée de (1r)K à rK. Si r<12, alors 1r>12 et si r>12 alors 1r<12. Les deux régions s’intervertissent leur rôle et, comme dans l’explication précédente, on peut conclure qu’il existe une position intermédiaire (une valeur de δ) pour laquelle les deux régions possèdent la même aire (r=1r=12). Voilà !

Sur le nombre de ces droites dans les triangles

Dans un triangle il y a peut-être plus d’une droite qui partage le périmètre et l’aire. Dans un triangle ABC, de côtés a, b, c avec a<b<c, il y a une, deux ou trois de ces droites, respectivement, si (a+b+c)2<2bc, (a+b+c)2=2bc ou (a+b+c)2>2bc.

On considère un triangle PQR, de côtés p, q, r et une droite coupant les côtés de l’angle P, à une distance θq de P sur le côté de mesure q et une distance θ1r de P sur le côté de mesure r. Cette droite partage le périmètre et l’aire, on a ici θ, θ1<1. L’inégalité est stricte, sans quoi la droite considérée passe par un sommet, et pour diviser l’aire il faudrait qu’il s’agisse d’une médiane. Or, puisque le triangle est scalène, la médiane ne partage pas le périmètre (on considérera les triangles équilatéraux et isocèles plus tard).thedudeminds_2015082609

Si la droite partage l’aire en deux parties égales, alors on a θqθ1rsin(P)2=12(qrsin(P)2)θθ1(qrsin(P)2)=12(qrsin(P)2)θθ1=12 ou, de manière équivalente, θ1=12θOn note ici qu’il suffit de considérer les valeurs de θ, θ1>12. En combinant les deux restrictions, on s’intéresse aux valeurs de θ et θ1 telles que 12<θ<1et 12<θ1<1

D’autre part, si la droite partage le périmètre, alors on a θq+θ1r=p+q+r2ou, de manière équivalente, 2θq+2θ1r=p+q+rOn substitue θ1 par 12θ dans l’équation précédente, 2θq+2(12θ)r=p+q+rce qui fait 2θq+1θr=p+q+rOn multiplie chaque côté par θ 2qθ2+r=(p+q+r)θou, de manière équivalente, 2qθ2(p+q+r)θ+r=0L’équation précédente est une équation quadratique en θ. On considère f(θ)=2qθ2(p+q+r)θ+rpour des valeurs de 12<θ<1On remarque que f(12)=2q(12)2(p+q+r)(12)+r=12q12p12q12r+r=12(rp) et aussi que f(1)=2q(1)2(p+q+r)(1)+r=2qpqr+r=qp

D’autre part, en complétant le carré, on obtient f(θ)=2qθ2(p+q+r)θ+r=2q(θ2p+q+r2qθ+(p+q+r4q)2(p+q+r4q)2+r2q)=2q((θp+q+r4q)2+r2q(p+q+r)216q2)=2q(θp+q+r4q)2+r(p+q+r)28q=2q(θp+q+r4q)2+8qr(p+q+r)28q

Ainsi, la fonction atteint son minimum en θ=p+q+r4q et ce minimum est 8qr(p+q+r)28q.

Il nous suffit maintenant d’examiner quelques signes.

Si P joue le rôle de B, autrement dit si p joue le rôle de b, et on se rappelle que a<b<c, alors f(12)=12(rp)et f(1)=qpsont de signes contraires (si q<p<r alors rp est strictement positif et qp est strictement négatif et si r<p<q alors rp est strictement négatif et qp est strictement positif). f(θ) prend donc la valeur de 0 sur cet intervalle et il y a dans ce cas toujours une droite qui coupe les côtés a et c.

Si P joue le rôle de C, autrement dit si p joue le rôle de c, le plus grand côté du triangle, alors f(12)=12(rp)est strictement négatif, f(1)=qpest strictement négatif et f(p+q+r4q)=8qr(p+q+r)28qest aussi strictement négatif. Le dernière affirmation nécessite peut-être une précision. Si p>q alors (p+q+r)2>(2q+r)2=4q2+4qr+r2=4q24qr+r2+8qr=(2qr)2+8qr8qr Il n’y a donc aucune valeur de θ entre 12 et 1 pour laquelle f(θ)=0. En d’autres mots, il n’y a aucune droite qui croise les côtés a et b.

Enfin, si P joue le rôle de A, autrement dit si p joue le rôle de a, le plus petit côté du triangle, f(12)=12(rp)est strictement positif et f(1)=qpest aussi strictement positif. Il y a donc aucune, une ou deux solutions selon la valeur de f(p+q+r4q)=8qr(p+q+r)28qSi 8qr(p+q+r)28q est strictement positif, il n’y a aucune valeur pour θ et aucune droite ne croise les côtés b et c. Si 8qr(p+q+r)28q est nul, alors il y a une valeur pour θ (qui, au passage, serait θ=p+q+r4q) et une droite qui croise les côtés b et c. Enfin, si 8qr(p+q+r)28q est strictement négatif, il y a deux valeurs pour θ et deux droites qui croisent les côtés b et c.

Comme 8q (le dénominateur) est strictement positif, on peut exprimer la condition sous la forme suivante 8bc(a+b+c)2>=<0ou 8bc>=<(a+b+c)2ce qui correspond au résultat attendu et énoncé plus haut dans ce billet. En comptant la droite qui croise les côtés a et c, on a une, deux ou trois droites selon que, respectivement, (a+b+c)2<=>8bc

Si le triangle est équilatéral, on a a=b=c et (a+b+c)2<=>8bcdevient (3b)2<=>8b2ou  9b2<=>8b2ou b2<=>0Or comme b2 est strictement positif, il y a toujours trois droites qui coupent le triangle. Ces trois droites sont les trois médianes (le cas θ=1 rejeté ci-haut dans le cas du triangle scalène). Si le triangle est isocèle et que les deux plus petits côtés du triangle sont isométriques, c’est-à-dire que a=b<c, alors (a+b+c)2<=>8bcdevient (2b+c)2<=>8bcce qui fait 4b2+4bc+c2<=>8bcou de manière équivalente, 4b24bc+c2<=>0et enfin (2bc)2<=>0Puisque le membre de gauche est toujours strictement positif (pour être nul, il faudrait avoir a=b=12c, or là, on n’a plus de triangle), il y a toujours trois droites. Enfin, si le triangle est isocèle mais ce sont les deux plus grands côtés qui sont isométriques, alors a<b=c et (a+b+c)2<=>8bcdevient (a+2b)2<=>8b2Puisque a, b>0(a+2b)2<=>8b2devient a+2b<=>22bpuis a<=>(222)bet enfin a<=>2(21)bPuisque 2(21)0,8284, mais que néanmoins 0,8284>0,5, selon la valeur de a et b=c, il peut y avoir une, deux ou trois droites comme dans le cas d’un triangle scalène.

Un exemple…

On considère à titre d’exemple le triangle scalène de côtés 40, 45 et 50.thedudeminds_2015082610Les sommets A, B et C et les côtés a, b et c sont placés comme il le faut. On constate d’abord que (40+45+50)2=1352=18225>8(45)(50)=1800 Il y a donc 3 droites possibles, une coupant les côtés a et c et deux coupant les côtés b et c. En remplaçant par les bonnes valeurs, on trouve d’abord les solutions à 2(50)θ2(40+45+50)θ+40=0ou, de manière équivalente, 100θ2135θ+40=0Les solutions de cette équation quadratique sont θ=2789400,493 et θ=27+89400,911. En se rappelant que θ1=12θet que 12<θ<1et 12<θ1<1seule la deuxième solution, θ=27+89400,911, est acceptée. On trouve, par ailleurs, θ1=1227+8940=2027+89 puis, en rationalisant, θ1=20(2789)72989=20(2789)640=2789320,549thedudeminds_2015082612

On trouve ensuite les solutions de 2(50)θ2(40+45+50)θ+45=0ou, de manière équivalente, 100θ2135θ+45=0Cette fois-ci les solutions sont θ=35 et θ=34 et les deux sont acceptées. La première nous donne θ1=12(35)=56 et la deuxième θ1=12(34)=23. Ces valeurs correspondent respectivement àthedudeminds_2015082614etthedudeminds_2015082613

On note au passage, en utilisant ce dernier cas à titre d’exemple, que l’aire du triangle rouge sur la figure est 30752sin(A)2=11252sin(A)ce qui correspond bien à la moitié de l’aire du triangle ABC 4550sin(A)2=1125sin(A)On observe aussi que 30+752=1352correspond aussi à la moitié du périmètre 40+45+50=135

[1] La démarche ci-dessus bien qu’intuitive, n’est pas parfaitement rigoureuse en ce sens qu’elle s’appuie tacitement sur des propriétés fondamentales des nombres réels et sur le théorème des valeurs intermédiaires de fonctions continues qu’on étudierait dans un cours d’analyse.

Références :

Niven, Ivan, Maxima and Minima Without Calculus, MAA, 1981

Dunkel, Otto and E. P. Starke, The American Mathematical Monthly, Vol. 49, pp. 64-68

Un petit pas pour l’induction…

… mais un pas de géant pour l’inégalité des moyennes arithmétique et géométrique

L’inégalité des moyennes arithmétique et géométrique est une inégalité élémentaire très connue (et utile). La moyenne arithmétique A de deux nombres positifs a et b est A=a+b2alors que la moyenne géométrique G [1]  de deux nombres positifs a et b est G=abL’inégalité stipule que AG

Pour 2 nombres

thedudeminds_2015063003

Le triangle est-il rectangle ? La cathète étant plus petite que l’hypoténuse, on a a+b>2ab ou a+b2>ab

L’inégalité pour deux nombres positifs a et b est a+b2abOn peut faire la démonstration de cette inégalité assez facilement. On observe d’abord que (bab)2 étant un carré, c’est-à-dire un nombre positif, on a (bab)20Il est aussi évident qu’on a l’égalité si et seulement si ba=b. Ainsi, si bab, on a (bab)2>0On peut développer à gauche, a2ab+b>0ou, de manière équivalente, a+b>2abou encore a+b2>abVoilà.

Qu’en est-il pour trois nombres ? Pour quatre nombres ? Pour n nombres ? L’inégalité tient-elle ? La réponse est oui. Pour trois nombres, on a  a+b+c3abc3avec égalité si et seulement si a=b=c et pour quatre, a+b+c+d4abcd4avec égalité si et seulement si a=b=c=d. Pour n nombres, c’est a1+a2+a3++anna1a2a3anntoujours avec égalité si a1=a2=a3==an

Pour n nombres

L’inégalité des moyennes arithmétique et géométrique était en fait une belle excuse dans ce billet pour vous présenter le petit bijou d’induction mathématique qui suit. Il me semble que dans chaque livre ou manuel, lorsque vient le temps de faire l’introduction à l’induction mathématique, on prend grand soin d’expliquer l’induction « qui monte » et celle « qui descend » … avec plusieurs exemples d’induction « qui monte » mais, c’est peut-être une impression personnelle, sans jamais fournir un exemple authentique d’induction qui descend. En voici un remarquable.

La démonstration suivante est attribuée à Augustin Louis Cauchy (1789-1857) dans son Cours d’Analyse, publié en 1821.Augustin-Louis_Cauchy_1901

Sur la recommandation de Niven [2], on s’attaque d’abord aux cas n=3 et n=4, à titre d’exemples, puisque la démonstration de Cauchy peut être assez redoutable pour un néophyte. On commence donc par démontrer, avec les quatre nombres positifs a, b, c et d, que a+b+c+d4abcd4Il est clair qu’on a l’égalité si et seulement si a=b=c=det on suppose donc qu’au moins deux de ces nombres ne sont pas égaux, par exemple ab et on s’attaque à l’inégalité stricte a+b+c+d4>abcd4On sait que a+b2>abet c+d2cdpuisqu’il s’agit de l’inégalité avec deux nombres (n=2), démontrée ci-haut. En effectuant la somme de ces inégalités, on obtient a+b+c+d2>ab+cdEn réutilisant l’inégalité de deux nombres une deuxième fois, avec les membres de droite, on obtient ab+cd2abcdou ab+cd2abcdce qui fait ab+cd2abcd4ou en multipliant par 2 ab+cd2abcd4L’inégalité pour quatre nombres découle donc de ces deux inégalités a+b+c+d2>ab+cd2abcd4a+b+c+d2>2abcd4a+b+c+d4>abcd4 On note au passage qu’on obtient bien l’inégalité stricte comme résultat final. On cherche ensuite à démontrer, avec les trois nombres positifs a, b et c, que a+b+c3abc3avec égalité si et seulement si a=b=cComme pour le cas précédent, on suppose que ab et on démontre l’inégalité stricte. On utilise le résultat précédent (le cas n=4) a+b+c+d4>abcd4et on effectue la substitution suivante d=abc3On obtient donc a+b+c+abc34>abcabc34Le membre de droite se simplifie à abcabc34=(abc(abc)13)14=((a3b3c3)13(abc)13)14=((a4b4c4)13)14=(((abc)4)13)14=((abc)43)14=(abc)13=abc3 ce qui fait a+b+c+abc34>abc3Et voilà ! Il suffit de multiplier par 4 a+b+c+abc3>4abc3de soustraire abc3 de chaque côté a+b+c>3abc3et finalement de diviser par 3 a+b+c3>abc3

La preuve de Cauchy

On considère la proposition Pn suivante : pour n nombres positifs a1, a2, a3, … , an, pas tous égaux, on a a1+a2+a3++ann>a1a2a3annAfin d’alléger un peu la notation, on peut réécrire l’inégalité ci-dessous comme a1+a2+a3++an>n(a1a2a3an)1nOn sait que P2 est vraie (c’est l’inégalité avec deux nombres, démontrée ci-haut). En s’inspirant de la démarche précédente (qui établissait au passage P3 et P4), on établit Pn pour n3. On y arrive en démontant ces deux résultats :

Premier résultat : Si la proposition Pn est vraie pour les nombres n3, alors Pn1 est vraie aussi.

Deuxième résultat : Si la proposition Pn est vraie pour les nombres n3, alors P2n est vraie aussi.

Comme dans Niven [2], on peut voir que la combinaison de ces résultats démontre la proposition Pn pour tout n3. On sait que P2 est vraie, donc le deuxième résultat nous dit que P4,P8,P16,P32,P64,sont vraies aussi. Ainsi, pour montrer que la proposition Pn est vraie pour une valeur particulière de n, il suffit d’aller chercher une puissance de 2 supérieure (ou égale) à n, par le deuxième résultat, puis de « descendre » jusqu’à n par le premier résultat. Par exemple, pour établir P28, on irait jusqu’à P32 par le deuxième résultat, puis, par le premier, on obtiendrait successivement les propositions P31,P30,P29,P28Comment ne pas s’extasier devant autant de génie ?

On s’attaque d’abord à la démonstration que Pn implique Pn1. On suppose que (c’est notre hypothèse) a1+a2+a3++an>n(a1a2a3an)1navec a1a2, et on remplace an par la moyenne géométrique g de a1, a2, … , an1, c’est-à-dire, par g=(a1a2a3an1)1n1. On obtient donc a1+a2+a3++an1+g>n(a1a2a3an1g)1nPuisque g=(a1a2a3an1)1n1gn1=a1a2a3an1 l’inégalité précédente devient a1+a2+a3++an1+g>n(gn1g)1na1+a2+a3++an1+g>n(gn)1na1+a2+a3++an1+g>ng En soustrayant g de chaque côté, on obtient a1+a2+a3++an1>(n1)gou a1+a2+a3++an1>(n1)(a1a2a3an1)1n1c’est-à-dire la proposition Pn1.

On s’attarde ensuite à démontrer que la proposition Pn implique P2n. Encore une fois, on suppose que a1a2. En utilisant le cas n=2, on sait que a1+a2>2a1a2a3+a42a3a4a5+a6>2a5a6a2n1+a2n>2a2n1a2n La somme de toutes ces inégalités correspond à l’inégalité stricte a1+a2+a3+a4++a2n1+a2n>2(a1a2+a3a4+a5a6++a2n1a2n)On note qu’il y a bien n termes dans la grande parenthèse à droite. On applique donc la proposition Pn (notre hypothèse) aux n termes à droite. Ces termes pourraient être tous égaux, donc on obtient l’inégalité large a1a2+a3a4++a2n1a2nn(a1a2a3a4a2n1a2n)1nn(a1a2a3a2n1a2n)1nn((a1a2a3a2n1a2n)12)1nn(a1a2a3a2n1a2n)12n En multipliant l’inégalité précédente par 2, on obtient 2(a1a2+a3a4++a2n1a2n)2n(a1a2a3a2n1a2n)12nce qui nous permet d’établir P2n, en réutilisant a1+a2+a3+a4++a2n1+a2n>2(a1a2+a3a4+a5a6++a2n1a2n)2n(a1a2a3a2n1a2n)12n et donc a1+a2+a3+a4++a2n1+a2n>2n(a1a2a3a2n)12nc’est-à-dire la proposition P2n.

[1] Les élèves se demandent quand est-ce qu’on utilise la moyenne géométrique. Par exemple, on l’utilise quand on veut calculer la moyenne de rapports ou de facteurs. On suppose qu’un employeur offre une augmentation salariale de 30% la première année (donc un salaire S est multiplié par 1,30), 10% la deuxième et 5% la troisième. La moyenne arithmétique nous donnerait 1,30S+1,10S+1,05S3=1,15Sc’est-à-dire une augmentation salariale moyenne 15% par année. Or, ce n’est pas le cas (un petit calcul suffit à nous convaincre). L’augmentation moyenne G doit correspondre à 1,301,101,05S=G3Sou G=1,301,101,053=1,50153=1,1451c’est-à-dire que l’augmentation moyenne n’est pas de 15% mais plutôt de 14,51%. On note au passage que la moyenne géométrique G est plus petite (1,1451) que la moyenne arithmétique (1,15), tel qu’attendu.

[2] Niven, Ivan, Maxima and Minima Without Calculus, MAA, 1981

Autre référence :

Alsina, Claudi et Nelsen, Roger B., When Less is More, MAA, 2009

Une jolie image…

Une jolie image chez Futility Closet, reproduite ici – merci, Géogébra – m’inspire ce billet. C’est beau et c’est un opportun prétexte pour trouver quelques valeurs exactes supplémentaires et dépoussiérer (dans mon cas) le livre XIII des Éléments d’Euclide.

thedudeminds_2014120701

 Dans trois cercles isométriques, on inscrit un pentagone régulier, un hexagone régulier et un décagone régulier. Les côtés de ces trois polygones réguliers forment un triangle rectangle. Ce triangle rectangle est la moitié d’un rectangle d’or.

On divise un n-gone régulier en n triangles isocèles isométriques. On considère un de ces triangles et on trace la hauteur issue de l’angle de mesure 2πnDans un triangle isocèle, cette hauteur est aussi médiatrice et bissectrice, si bien que l’on forme un triangle rectangle d’hypoténuse r, le rayon du cercle, de cathète 12cla moitié de la mesure du côté du n-gone. Cette cathète est opposée à l’angle de πn.

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Le rapport sinus dans ce triangle rectangle nous donne sin(πn)=12crou de manière équivalente, c=2rsin(πn)Ainsi, dans le cas du pentagone régulier, n=5 et le côté mesure 2rsin(π5)dans le cas de l’hexagone régulier, n=6 et le côté mesure 2rsin(π6)et enfin dans le cas du décagone régulier, n=10 et le côté mesure 2rsin(π10)Quelles sont les valeurs de ces sinus ? Dans le cas de l’hexagone, c’est une valeur connue, puisque la mesure du côté de l’hexagone correspond au rayon du cercle (les triangles isocèles sont en fait équilatéraux), et comme on sait que sin(π6)=12on trouve sans surprise 2rsin(π6)=2r12=rEn utilisant un autre résultat, vu ici, on sait que cos(π5)=1+54et en élevant au carré, cos2(π5)=3+58En utilisant l’identité fondamentale, sin2(α)+cos2(α)=1avec α=π5, on obtient sin2(π5)+cos2(π5)=1et en remplaçant sin2(π5)+3+58=1Cette dernière expression nous donne le carré du sinus, sin2(π5)=558ou même le sinus, puisque 0<π5<π2, c’est la racine carrée positive de l’expression précédente sin(π5)=558On fait la même chose avec α=π10. On a sin2(π10)+cos2(π10)=1sauf que là, il faut travailler un peu, ou enfin davantage… Avec l’identité sin(η+θ)=sin(η)cos(θ)+sin(θ)cos(η)on pose η=θ et après quelques étapes algébriques, on obtient la formule du cosinus de l’angle double cos(2η)=2cos2(η)1Avec η=π10 on obtient cos(π5)=2cos2(π10)1c’est-à-dire 1+54=2cos2(π10)1En additionnant 1 de chaque côté 5+54=2cos2(π10)et en divisant par 2, 5+58=cos2(π10)on obtient la valeur du carré du cosinus. En remplaçant dans l’identité fondamentale,sin2(π10)+cos2(π10)=1on a sin2(π10)+5+58=1et en soustrayant, apparaît la valeur du carré du sinus sin2(π10)=358Encore une fois, puisque 0<π10<π2, le sinus est positif sin(π10)=358Il reste à vérifier la relation de Pythagore : si c’est le cas, le triangle est rectangle ! En considérant le plus grand côté, celui du pentagone régulier, comme l’hypoténuse, on pose (2rsin(π10))2+(2rsin(π6))2=?(2rsin(π5))2ou de manière équivalente 4r2sin2(π10)+4r2sin2(π6)=?4r2sin2(π5)

En divisant chaque côté par 4r2, sin2(π10)+sin2(π6)=?sin2(π5)Le membre de gauche de l’équation est connu, c’est sin2(π10)+sin2(π6)=358+14=558=sin2(π5)Le triangle est bien rectangle ! Est-il une moitié de rectangle d’or ? On considère le rapport des mesures des côtés 2rsin(π6)2rsin(π10)=sin(π6)sin(π10)et ces quelques étapes algébriques simples (mais non moins fastidieuses) sin(π6)sin(π10)=12358=14358=14358=1483588=235Suivent encore quelques étapes algébriques de routine, sin(π6)sin(π10)=235=2(3+5)(35)(3+5)=2(3+5)4=3+52Il suffit enfin de se rendre compte que l’expression dans la grande racine carrée est un carré sin(π6)sin(π10)=3+52=6+254=12+25+(5)24=(1+5)24=1+52pour qu’apparaisse le nombre d’or !

Euclide, vieille branche !

En suivant le lien sur Futility Closet, on découvre que l’auteur de l’image de Wikimedia Commons est nul autre que David Eppstein et que l’image est intitulée : Euclid XIII.10. Diantre ! Érudits, à vos Éléments ! (Heureusement, je possède une copie peu dispendieuse, en anglais.) Comment Euclide s’y prend-t-il ? C’est sans surprise qu’il utilise son arme favorite… des triangles semblables !

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Il inscrit d’abord le pentagone régulier ABCDE dans un cercle de centre F. Il trace un diamètre AG. Il trace FB et FK, perpendiculaire à AB, coupant AB en H. Il trace ensuite AK et KB. Enfin, il trace la perpendiculaire à AK passant par F, coupant AB en N, AK en L et le cercle en M.

Il remarque d’abord que puisque AG est un diamètre, CGGD. Puisque la corde CD est le côté d’un pentagone régulier, les cordes CG et GD sont  les côtés d’un décagone régulier.

Le segment FK étant perpendiculaire à AB et FBFA, on trouve (par I.26) que AFKBFK. Comme AB est le côté d’un pentagone régulier, cela implique que BK et KA sont aussi les côtés d’un décagone régulier.

De la même manière, FM étant perpendiculaire à AK, on observe que ALLK et AMMK.

Par la suite Euclide s’attarde à montrer deux choses : les triangles ABF et FBN sont semblables, tout comme les triangles ABK et AKN. On a 2mCG=mCD=mAB=2mBKc’est-à-dire que mCG=mBK=mAK=2mKMet mCB=2mBKEn additionnant, on a mBCG=2mBKMou, en considérant les angles au centre, mBFG=2mBFNSauf que mBFG=2mFABpuisque l’angle FAB inscrit intercepte le même arc que l’angle au centre BFG. En substituant, on trouve mFAB=mBFNAinsi, les triangles ABF et FBN on un angle en commun, ABF, et des angles isométriques FABBFNce qui fait que les triangles sont semblables ! ABFFBND’autre part, puisque ALLK, et que les angles en L sont des angles droits, on trouve que ANNKainsi que, comme dans un triangle isocèle les angles opposés aux côtés isométriques sont isométriques, NKANAKKBAAinsi, les triangles ABK et AKN ont un angle en commun, NAK, et des angles isométriques ABKAKNLes triangles sont semblables ABKAKNMaintenant, puisque ABFFBN, on pose la proportionmABmBF=mBFmBNou, de manière équivalente,mABmBN=(mBF)2En utilisant l’autre similitude, ABKAKN, on trouve mBAmAK=mAKmANou, de manière équivalente,mBAmAN=(mAK)2Ainsi, en additionnant les égalités,mABmBN+mBAmAN=(mBF)2+(mAK)2c’est-à-dire mAB(mAN+mBN)=(mBF)2+(mAK)2(mAB)2=(mBF)2+(mAK)2

On vérifie la relation de Pythagore, avec AB le côté d’un pentagone, BF d’un hexagone (c’est le rayon du cercle) et AK d’un décagone.