Plus d’une preuve dans son sac…

Voici une preuve qu’on dit être une one-sentence proof [1] de l’irrationalité du nombre \(\sqrt{2}\), différente (et je crois moins connue) de celle plus couramment rencontrée. Comme l’autre, c’est une preuve par l’absurde.

Supposons que le nombre \(\sqrt{2}\) soit rationnel et qu’il soit égal à \[\sqrt{2} =\frac{m}{n}\]avec \(m\) et \(n\) premiers entre eux (c’est-à-dire que la fraction est réduite), alors on a aussi que \[\sqrt{2} = \frac{2n-m}{m-n}\]et on trouve là la contradiction souhaitée : une fraction en plus petits termes !

Bien sûr, cette « preuve en une phrase » nécessite qu’on éclaircisse quelques détails. Il faut principalement vérifier que la deuxième fraction est bien égale à la première. Et il faut aussi vérifier que le dénominateur de la deuxième fraction est positif et plus petit que \(n\), le dénominateur de la première fraction. Soit. Puisque \[1<\sqrt{2}=\frac{m}{n}<2\]et que \(n\) est positif, on a en multipliant par \(n\) \[n < m < 2n\]et puis en soustrayant \(n\) \[0<m-n<n\]Du coup on trouve que le dénominateur de la deuxième fraction est à la fois positif et plus petit que le dénominateur de la première fraction. En partant de \[\sqrt{2} = \frac{m}{n}\]on trouve de manière équivalente \[\sqrt{2}\cdot n = m\](on remarque au passage, avec \(m\) et \(n\) premiers entre eux, que \(n\) est le plus petit entier qui puisse rendre le membre de gauche entier).  En élevant au carré, on a \[2n^{2}=m^{2}\]En soustrayant \(nm\) de chaque côté \[2n^{2}-mn = m^{2}-mn\](pas de problème encore une fois puisque \[n<m<2n\]implique \[mn<2n^{2}\]en multipliant par \(n\) et \[mn<m^{2}\]en multipliant par \(m\), les deux côtés de l’équation restent donc positifs) et en effectuant une mise en évidence de chaque côté \[n(2n-m) = m(m-n)\]on obtient le résultat demandé\[\frac{2n-m}{m-n}=\frac{m}{n}=\sqrt{2}\]et, du même coup, la contradiction.  Il aurait été possible d’emprunter une démarche similaire avec comme point de départ \[\left(\sqrt{2}-1\right)\left(\sqrt{2}+1\right)=1\]

Dans son article, Bloom [1] mentionne que cette preuve a été présentée sous une forme légèrement différente par Ivan Niven en 1985. Il ajoute aussi que cet argument peut être modifié sans grande difficulté pour traiter un nombre \(\sqrt{k}\) quelconque où \(k\) n’est pas un nombre carré. En effet, avec \(j\) l’unique entier tel que \[j<\sqrt{k}<j+1\]si on pose \[\sqrt{k} =\frac{m}{n}\]avec \(m\) et \(n\) premiers entre eux, on trouvera aussi \[\sqrt{k} = \frac{kn-jm}{m-jn}\]une fraction en plus petits termes.

[1] David M. Bloom, A One-Sentence Proof That √2 Is Irrational, Mathematics Magazine Oct. 1995

Citation

Teachers and authors of textbook should not forget that the intelligent student and the intelligent reader are not satisfied by verifying that the steps of reasoning are correct but also want the motive and the purpose of the various steps. The introduction of an auxiliary element is a conspicuous step. If a tricky auxiliary line appears abruptly in the figure, without motivation, and solves the problem surprisingly, intelligent students and readers are disapointed; they feel they are cheated. Mathematics is interesting in so far as it occupies our reasoning and inventive powers. But there is nothing to learn about reasoning and invention if the motive and purpose of the most conspicuous steps remain incomprehensible. To make such steps comprehensible by suitable remarks or by carefully chosen questions and suggestions takes a lot of time and effort; but it may be worth while.

– George Pólya (1945) – How To Solve It : a new aspect of mathematical method

Pour un livre qui a été écrit avant la naissance de la didactique des mathématiques, on y trouve des passages fort intéressants.