Nous sommes le 99%

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Il y a quelques moments que je voulais écrire un billet sur « le paradoxe du concombre » (voir les commentaires), un problème fort ludique de raisonnement proportionnel que j’avais lu il y a quelques années dans le magazine Tangente. Mais voilà qu’aujourd’hui j’ai entendu une autre version du problème que j’estime encore plus accessible pour l’élève. La voici.

Un grand aquarium contient 200 poissons. De ceux-ci, 99% sont des poissons rouges. On voudrait que ce pourcentage baisse à 98%. On décide donc de retirer des poissons rouges. Combien de poissons rouges doit-on enlever de l’aquarium ?

La réponse est surprenante. Prenez un moment pour y réfléchir. Plusieurs personnes répondent « 4 poissons rouges », d’autres « seulement 2 ».

Si les poissons rouges représentent 99% de la population de l’aquarium, cela signifie que « les autres » correspondent, eux, à 1%.\[\frac{1}{100}\ = \ \frac{?}{200}\]Il y a donc deux de ces poissons. Si on désire que les poissons rouges représentent maintenant 98% de la population, « les autres », toujours au nombre de deux, doivent maintenant représenter 2% de la population. \[2\% \ = \ \frac{2}{100}\]Ah ! Mais pour ce faire, on doit avoir un total de 100 poissons… et il faut donc retirer de l’aquarium, pour que la représentation des poissons rouges passe de 99% à 98%, un total de 100 poissons rouges !

Petit exercice pour donner un peu de mal à votre enseignant de mathématiques au secondaire

Les enseignants de quatrième secondaire débutent souvent l’année avec le chapitre sur la factorisation. Voici une question sur laquelle je suis tombé en parcourant /r/learnmath : Factorisez \[x^{4} + 4x^{2} + 16\]Le polynôme a une allure parfaitement inoffensive, on peut le considérer comme un polynôme du deuxième degré en \(x^{2}\). La réponse attendue : on peut effectuer le changement de variable suivant\[y=x^{2}\]et factoriser le trinôme\[y^{2} + 4y + 16\]Or, le discriminant étant négatif \[\Delta=4^{2}-4(1)(16)<0\]ce dernier polynôme ne se factorise pas ! Oups ! Conclusion (erronée) : le polynôme du départ ne se factorise pas.

Le problème est que, dans les réels, il existe des facteurs « premiers » du premier et du deuxième degré. Ainsi, un polynôme de degré 4 peut posséder (distincts ou non) quatre facteurs du premier degré, deux facteurs du premier degré et un du deuxième ou deux facteurs du deuxième degré. C’est bien sûr le troisième cas qui nous intéresse ici et qui cause problème. Il est d’ailleurs facile de vérifier que\[x^{4} + 4x^{2} + 16 = (x^{2}-2x + 4)(x^{2} +2x + 4)\]Un produit de deux trinômes irréductibles ! Comment, alors, arriver à une telle conclusion ? Pour ce cas précis, on peut chercher à retrouver une différence de carrés. Et pour ce faire, on commence par « compléter le carré » en ajoutant un terme en \(x^{2}\). On obtient \[x^{4} \textcolor{Blue}{+ 8x^{2}} + 16\textcolor{Blue}{-8x^{2}} + 4x^{2}\]ce qui fait en factorisant le trinôme carré parfait\[\left(x^{2}+ 4\right)^{2}-\,4x^{2}\]Et voilà ! Le deuxième terme étant lui-même un carré \[\left(x^{2}+4\right)^{2}-\,\left(2x\right)^{2}\]on obtient une expression qui se factorise facilement\[\left(x^{2}-2x+4\right)\left(x^{2}+2x+4\right)\]À ce moment, le lecteur reste peut-être sur sa faim : ça semble trop beau, les coefficients ont dû être choisis exprès ! En partant de \[x^{4} + bx^{2} + c\]on peut vérifier les étapes suivantes \begin{align*}x^{4}+bx^{2}+c &=x^{4}+2\sqrt{c}\,x^{2}+c-2\sqrt{c}\,x^{2}+bx^{2} \\ \\ &=\left(x^{2} + \sqrt{c}\,\right)^{2}-\left(2\sqrt{c}-b\right)\,x^{2} \\ \\ &=\left(x^{2} + \sqrt{c}\,\right)^{2}-\left(\sqrt{2\sqrt{c}-b}\,x\right)^{2} \\ \\ &=\left(x^{2}-\sqrt{2\sqrt{c}-b}\,x+\sqrt{c}\,\right)\left(x^{2}+\sqrt{2\sqrt{c}-b}\,x+\sqrt{c}\,\right) \end{align*}qui mènent, toujours dans ce cas-ci, à la bonne factorisation.

En continuant la démarche de l’enseignant, et en prenant un petit détour par les complexes, il est aussi possible d’arriver à la factorisation demandée. Trouver les racines complexes d’un polynôme du quatrième degré est en général une tâche fort fastidieuse, mais dans le cas de polynôme du type\[x^{4}+4x^{2}+16\]c’est long mais plutôt facile. En changeant la variable\[y = x^{2}\]on obtient\[y^{2}+4y+16\]ce qui nous donne comme racines\[y=\frac{-4\pm\sqrt{-48}}{2}\]c’est-à-dire\begin{align*}y&=\frac{-4 \pm \sqrt{-48}}{2}\\ \\ &=\frac{-4\pm  \sqrt{16 \cdot 3 \cdot -1}}{2} \\ \\ &=\frac{-4\pm  4\sqrt{3}\,i}{2} \\ \\ &=-2 \pm 2\sqrt{3}\, i\end{align*}On obtient donc comme racines du polynôme initial \[x = \pm\sqrt{-2\pm 2\sqrt{3}\, i}\]En considérant la première de ces quatre racines\[x_{1}=\sqrt{-2 + 2\sqrt{3}\, i}\]et en posant\[x_{1}=\alpha+\beta i\]on obtient\[\alpha + \beta i = \sqrt{-2 + 2\sqrt{3}\, i}\]En élevant au carré on a \[\alpha^{2}\ – \ \beta^{2} + 2\alpha \beta i = -2 + \sqrt{3}\, i\]duquel on tire un système d’équations \begin{align*}\alpha^{2}-\beta^{2}&=-2 \\ \\ 2\alpha \beta &= 2\sqrt{3}\end{align*}qu’on peut réécrire comme\begin{align*}\alpha^{2}-\beta^{2}&=-2 \\ \\ \alpha^{2}\beta^{2}&=3\end{align*}et qui nous donne\begin{align*}\alpha^{2}&=1 \\ \\ \beta^{3}&=3\end{align*}On peut donc réécrire la première racine comme \[x_{1} = \sqrt{-2+2\sqrt{3}\, i} = 1 + \sqrt{3}\, i\]et de manière analogue, les trois autres racines \begin{align*}x_{2}&=\sqrt{-2-2\sqrt{3}\,i} = 1-\sqrt{3}\,i \\ \\ x_{3}&=-\sqrt{-2+2\sqrt{3}\,i}=-1-\sqrt{3}\,i \\ \\ x_{4}&=-\sqrt{-2-2\sqrt{3}\,i}=-1+\sqrt{3}\,i\end{align*}Ainsi, lorsqu’on factorise (dans les complexes) : \[x^{4}+4x^{2}+16 = (x-x_{1})(x-x_{2})(x-x_{3})(x-x_{4})\]et qu’on remarque que\begin{align*}x_{1}+x_{2}&=\left(1+\sqrt{3}\,i\right) + \left(1-\sqrt{3}\,i\right) =2 \\ \\ x_{1}x_{2}&= \left(1+\sqrt{3}\,i\right)\left(1-\sqrt{3}\,i\right) = 4 \\ \\ x_{3}+x_{4}&=\left(-1-\sqrt{3}\,i\right)+\left(-1+\sqrt{3}\,i\right)=-2 \\ \\ x_{3}x_{4} &= \left(-1-\sqrt{3}\,i\right)\left(-1+\sqrt{3}\,i\right) = 4\end{align*}on obtient, en réunissant les facteurs du premier degré deux à deux,\[(x-x_{1})(x-x_{2})(x-x_{3})(x-x_{4}) = \left(x^{2}-\left(x_{1}+x_{2}\right)x + x_{1}x_{2}\right)\left(x^{2}-\left(x_{3}+x_{4}\right)x+x_{3}x_{4}\right)\]c’est-à-dire le résultat recherché\[x^{4} + 4x^{2}+16 = \left(x^{2}-2x+4\right)\left(x^{2}+2x+4\right)\]

Monsieur, je n’ai pas mon rapporteur d’angle !

Tu as ta règle ? Alors pas de problème ! Sur chacun des côtés de l’angle, marque un trait à \(60\) millimètres du sommet. Mesure ensuite la distance en millimètres entre les traits et voilà ! Tu as (une approximation parfaitement acceptable de) la mesure de ton angle en degrés ! Génial ?thedudeminds_2013090303Pourquoi est-ce que ça fonctionne ? On considère un angle \(\alpha\) et on procède tel qu’indiqué. En marquant les côtés de l’angle à la même distance (ici, \(60\) millimètres), on dessine un triangle isocèle. Et comme c’est un triangle isocèle, la bissectrice de l’angle \(\alpha\) sera aussi une médiatrice.thedudeminds_2013090415Ainsi, en n’oubliant pas que \[1^{\circ} = \frac{\pi}{180}\]on observe la relation suivante dans les triangles rectangles formés par la bissectrice/médiatrice \[\sin\left(\frac{\pi}{180}\cdot \frac{\alpha}{2}\right) = \frac{\frac{s}{2}}{60}\]et dans laquelle \(\alpha\) est exprimé en degrés. De \[\sin\left(\frac{\pi}{360}\alpha\right) = \frac{s}{120}\]on utilise maintenant deux approximations si grossières qu’elles vous feront perdre, peut-être, tout espoir d’obtenir une expression utile au final. Et pourtant ! D’abord, pour de petits angles (exprimés en radian), on a \[\sin\left(\theta\right) \approx \theta\]ce qui donne comme première approximation \[\frac{\pi}{360} \approx \frac{s}{120}\]et en utilisant (ma parole !) \[\pi \approx 3\]on obtient ensuite \[\frac{3}{360} \alpha \approx \frac{s}{120}\]C’est donc avec un certain scepticisme qu’on retrouve effectivement \[\alpha \approx s\]Est-ce que l’approximation est fiable ? Le graphique suivant montre la relation entre \(\alpha\) (abscisses) et \(\alpha-s\) (ordonnées).

thedudeminds_2013090301On remarque que pour des angles entre \(0^{\circ}\) et (environ) \(75^{\circ}\), l’erreur est de moins de \(2^{\circ}\). Pas mal ! Après \(75^{\circ}\), ça se gâte un peu, et l’erreur culmine avec un maximum d’environ \(5^{\circ}\) lorsque l’angle est près d’un angle droit. Cependant, toutes proportions gardées, l’erreur de \(5^{\circ}\) reste quand même relativement petite pour cette approximation très économique.

On peut se demander si \(60\) a quelque chose de particulier, s’il existe des mesures qui donnent de meilleures approximations. En marquant l’angle à \(62\) millimètres au lieu de \(60\), on semble améliorer les choses : on s’assure que l’erreur maximale ne dépasse pas environ \(2,\!4^{\circ}\) (au lieu d’un peu plus de \(5^{\circ}\) comme c’est le cas ici avec \(60\) millimètres). Bien que \(62\) millimètres offrent une meilleure garantie sur l’erreur maximale (qu’importe l’angle, c’est moins de \(2,\!4^{\circ}\)), on se rend compte que la plupart des angles sont moins précis en utilisant cette mesure. En d’autres mots, avec \(62\) millimètres, l’erreur maximale est plus petite mais l’erreur moyenne est plus grande.  En fait, la mesure qui offre la plus petite erreur moyenne est… \(60\) millimètres. Excellent.

En gardant notre mesure de \(60\) millimètres pour minimiser l’erreur moyenne, peut-on améliorer notre approximation sans trop compliquer les choses ? Kowalski [1], dans son article, propose d’utiliser une règle simple : en bas de \(60^{\circ}\), on soustrait \(1\), en haut de \(60^{\circ}\) on ajoute \(2,\!5\). \[\text{Approx}  =\begin{cases} s-1 & \text{ si   } \alpha<60^{\circ} \\ s & \text{ si   } \alpha = 60^{\circ} \\ s+2,\!5 & \text{ si   } \alpha>60^{\circ}\end{cases}\]

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En bleu, α – s avec ajustement.

Référence : [1] Travis Kowalski,  College Mathematics Journal, Volume 39, Number 4, September 2008 , pp. 273-279