Un homme de principe

Le principe de Cavalieri (ou méthode des indivisibles) est le suivant : si les figures planes déterminées par les intersections de deux solides avec tout plan parallèle à un plan fixe donné ont la même aire, alors les deux solides ont le même volume.

Pour appliquer le principe, il ne suffit donc pas d’avoir des solides de même volume : ces solides doivent aussi être orientés correctement. On comprend aussi qu’une fois orientés, les solides doivent nécessairement avoir la même hauteur. Enfin, il est évidemment possible de trouver des solides de même volume mais dont les coupes transversales n’ont pas la même aire, qu’importe l’orientation des solides.

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Le principe est nommé en l’honneur de Bonaventura Cavalieri (1598-1647) qui l’énonce et tente d’en fournir une preuve. Le principe en soi n’est cependant pas nouveau à cette époque. Archimède utilise une idée semblable 16 siècles auparavant pour établir des relations entre les volumes de différents solides. Et dans ses écrits il crédite Exodus et Democrite pour l’utilisation de cette méthode, bien avant, dans leur découverte du volume du cône. Liu Hui, au 3ième siècle, utilise le principe de Cavalieri pour trouver le volume du cylindre.

Au 17ième siècle, Cavalieri redécouvre le principe et l’utilise pour trouver lui aussi des expressions pour le volume de différents solides. Cependant, contrairement à ceux qui le précèdent, il s’intéresse également au principe de manière plus générale, pour des solides quelconques. Il essaie aussi de fournir une preuve rigoureuse du principe en utilisant la méthode d’exhaustion d’Archimède. Plus tard, le développement du calcul intégral permet aux mathématiciens d’accéder à cette rigueur.

L’idée fondamentale du principe de Cavalieri n’est pas de calculer directement des volumes, mais de les comparer : l’astuce consiste à trouver quels sont les solides appropriés à comparer.

Le volume de la boule

Une des plus belles applications du principe est la suivante : trouver une expression pour le volume de la boule. Pour ce faire, on utilise un solide qui possède des coupes transversales équivalentes aux coupes de la boule : bien évidemment, ce solide est plus facile à mesurer, plus « simple », que la boule elle-même.

On considère une boule de rayon \(R\) et on fixe un équateur et le plan qui supporte cet équateur. On coupe ensuite la boule avec un plan parallèle au plan qui supporte l’équateur et à une hauteur \(h\) de celui-ci. L’intersection du plan et de la boule est un disque de rayon \(r\) (en jaune sur la figure). Lorsque \(h\) vaut zéro, le disque est ce qu’on appelle un grand disque de la boule : un disque qui passe par son centre et son rayon à ce moment est \(R\). Puis, dans l’hémisphère nord, lorsque \(h\) augmente, le rayon du disque diminue, jusqu’à ce que le disque dégénère en un seul point lorsque \(h=R\). Par symétrie, on observe un phénomène semblable dans l’hémisphère sud.thedudeminds_2012052702L’aire de ce disque est \[A= \pi r^{2}\]De quelle manière le rayon \(r\) du disque diminue-t-il en fonction de la hauteur \(h\) ? On considère le triangle rectangle dont les cathètes mesurent \(r\) et \(h\) et l’hypoténuse \(R\), le rayon de la boule. Avec Pythagore, on trouve \[r^{2} + h^{2}= R^{2}\] ce qui donne en soustrayant \(h^{2}\) \[r^{2}=R^{2}-h^{2}\]En substituant, on peut donc exprimer l’aire du disque comme \[A= \pi \left(R^{2}-h^{2}\right)\]Cette expression algébrique peut être interprétée géométriquement de belle manière : elle correspond aussi à l’aire de la région comprise entre deux disques de rayon \(R\) et \(h\). Cette région s’appelle une couronne (annulus en latin).thedudeminds_2012052704

L’aire de cette couronne est \(A= \pi \left(R^{2}-h^{2}\right)\) 

L’extraordinaire coup de génie consiste à trouver un solide qui possède de telles couronnes comme coupes transversales : un cylindre duquel on a enlevé deux cônes.

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La hauteur de ce cylindre est \(2R\), son rayon est \(R\). La hauteur de chaque cône est donc \(R\) et leur rayon est le même que celui du cylindre. On sait que le cône occupe le tiers du cylindre de même base et de même hauteur, c’est donc dire que le solide qui possède le même volume que la boule correspond au \(\frac{2}{3}\) du cylindre.thedudeminds_2013052901

Ainsi, on a \[V_{\text{boule}} = \frac{2}{3}\cdot V_{\text{cylindre}}\]c’est-à-dire \[V_{\text{boule}} = \frac{2}{3}\left(\pi \cdot R^{2}\cdot 2R\right)\]ce qui est équivalent à la formule bien connue \[V_{boule} = \frac{4\pi R^{3}}{3}\]

Référence : Paul Lockhart (2012), Measurement

Tom Apostol and Mamikon Mnatsakanian (2013),  New Horizons in Geometry

Citation

It is clearly impossible to arrange a scale of hardness in studies such as is used in mineralogical tests. But if the formation of such scale were attempted, mathematics would probably head most of the lists. Once label a subject very hard, and let that label be flaunted before the young pupil’s sight, and they are handicapped from the start. They magnify every difficulty, are discouraged too easily, accept failures as all but inevitable. This disadvantage works in many ways. Children are pitied for having to work hard exemples, they are made to tremble at the very thought of algebra or geometry. If they express any pleasure in the subject they are called grinds or sharks, or are told “Just wait till you get to radicals.” Students who have just finished a course in algebra and geometry delight in terrifying those in the class below them, exaggerating its difficulties, discouraging them from reasonable efforts to succeed by instilling a beleif in the futility of such attempts, magnifying the slaughter wrought by examinations, or perhaps declaring that the only way they themselves got through was by committing all the proofs by memory, a tale which can rarely be true, but which is often swallowed with avidity. If it were possible to eliminate from the young minds, that cling so tenasciously to some forms of tradition, this conventional view of mathematics, I beleive that we should find pleasure in learning and in teaching mathematics wonderfully increased, and failures in the subjet correspondingly diminished. Is there any way in which we can acheive this ? It is worth much thought and effort.

Helen A. Merrill, Why Students Fail in MathematicsMathematics Teacher 11

Ce texte est tiré du Mathematics Teacher de décembre… 1918. Hummmm !

Les traces d’un vélo

“A bicycle, certainly, but not THE bicycle,” said he. “I am familiar with forty-two different impressions left by tires. This, as you perceive, is a Dunlop, with a patch upon the outer cover. Heidegger’s tires were Palmer’s, leaving longitudinal stripes. Aveling, the mathematical master, was sure upon the point. Therefore, it is not Heidegger’s track.”

“The boy’s, then?”

“Possibly, if we could prove a bicycle to have been in his possession. But this we have utterly failed to do. This track, as you perceive, was made by a rider who was going from the direction of the school.”

“Or towards it?”

“No, no, my dear Watson. The more deeply sunk impression is, of course, the hind wheel, upon which the weight rests. You perceive several places where it has passed across and obliterated the more shallow mark of the front one. It was undoubtedly heading away from the school. It may or may not be connected with our inquiry, but we will follow it backwards before we go any farther.”

Arthur Conan Doyle (1903),  The Adventure Of The Priory School

Voici les traces laissées par un vélo, des traces qu’on pourrait observer, par exemple, dans un sol boueux. J’ai attribué deux couleurs différentes aux traces, celle de la roue avant et celle de la roue arrière, afin qu’on puisse bien les distinguer sur l’image. Peut-on découvrir dans quel sens le vélo s’est déplacé ? De gauche à droite ou de droite à gauche ?

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C’est un problème fort intéressant, résolu par John Conway, Peter Doyle, Jane Gilman, and Bill Thurston en 1991 dans un cours intitulé Geometry and the Imagination donné à Princeton et au Geometry Center de l’Université du Minnesota. La solution apparaît aussi dans le livre Which Way Did The Bicycle Go ? de Joseph D. E. Konhauser, Daniel J. Velleman et Stan Wagon (MAA, 1996). Le problème est inspiré du passage cité ci-dessus d’une nouvelle d’Arthur Conan Doyle dans laquelle son célèbre détective Sherlock Holmes se trouve pour une rare fois dans l’erreur.

Notre expérience à vélo peut nous mener à découvrir, de manière intuitive, la trace qui représente celle de la roue arrière et celle de la roue avant. On s’imagine faire des “s” en vélo à basse vitesse : la roue arrière parcourt une moins grande distance que la roue avant. Sur notre dessin, cela veut donc dire que la trace noire est celle de la roue arrière et la trace bleue celle de la roue avant. Mais cela ne nous indique pas dans quel sens le vélo s’est déplacé.

Le truc comporte deux aspects. D’abord, il faut observer que la distance entre les points de contact au sol de la roue avant et de la roue arrière est toujours constante (ou presque). Ensuite, on peut faire pivoter la roue avant avec le guidon (elle forme donc un angle avec le cadre) mais la roue arrière, elle, est fixe : elle garde toujours le même angle par rapport au cadre, et cet angle est nul. Ainsi, en examinant la trajectoire d’un vélo, la roue arrière est toujours tangente à la trace qu’elle laisse.

Ainsi, il est impossible que la trace bleue soit celle de la roue arrière car la courbe bleue possède des tangentes qui ne touchent pas la courbe noire.

thedudeminds_2013041521La trace noire est donc celle de la roue arrière, tel qu’on l’avait deviné. De plus, si on examine des tangentes à différents points \(B_{i}\) sur la trace noire,thedudeminds_2013041522on remarque que chacune de ces tangentes coupent la courbe bleue à deux endroits, \(A_{i}\) et \(C_{i}\).thedudeminds_2013041523

La distance entre les \(A_{i}\) et \(B_{i}\) est constante, mais la distance entre les \(B_{i}\) et \(C_{i}\) est variable, le vélo n’a donc d’autre choix que de se promener de la droite vers gauche.thedudeminds_2013041524