La formule de Héron

La formule de Héron nous permet de trouver l’aire d’un triangle quelconque connaissant les mesures de ses trois côtés. Il suffit de calculer d’abord le demi-périmètre s du triangle ABC, avec côtés a, b et c, et ensuite de calculer Aire(ABC)=s(sa)(sb)(sc)Il existe de nombreuses preuves de ce résultat (en utilisant Pythagore ou un peu de trigonométrie) mais aucune n’est aussi belle que celle fournie par Héron même. Sa preuve se lit comme un bon roman : elle est ingénieuse, élégante et garde le lecteur en haleine jusqu’à ce que la finale se dévoile abruptement.

La preuve repose sur cinq résultats. On prend d’abord quelques minutes pour les apprécier.

Proposition 1 : les bissectrices d’un triangle se rencontrent en un point. C’est le centre du cercle inscrit dans le triangle.

La bissectrice est la droite qui coupe l’angle en deux angles isométriques. On considère l’angle ABC suivant. On trace la bissectrice BP.

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On doit montrer que tout point de la bissectrice est équidistant des côtés de l’angle. On trace les segments perpendiculaires à AB et BC passant par P, respectivement DP et EP, et respectivement les distances de P à AB et de P à BC. Par définition de bissectrice, les angles ABP et CBP sont isométriques. Les angles BDP et BEP sont droits (et donc isométriques). Et comme la somme des mesures des angles intérieurs d’un triangle est toujours égale à 180°, on trouve que les angles BPD et BPE sont forcément isométriques eux-aussi. Les triangles BDP et BEP partageant tous les deux le côté BP, on trouve qu’ils sont isométriques par le cas ACA. Et comme dans les triangles isométrique les côtés homologues sont isométriques, on trouve que DP et EP sont isométriques. Le point P est donc équidistant des deux côtés de l’angle.

La réciproque est aussi vraie. Si P est équidistant de AB et de BC, alors on a que DP et EP sont isométriques. Les deux triangles BDP et BEP partagent le côté BP. Les deux triangles BDP et BEP sont rectangles (par définition de distance) et donc, avec Pythagore, on trouve que les segments BE et BD sont eux-aussi isométriques. Les triangles sont donc isométriques par le cas CCC et comme dans les triangles isométriques, les angles homologues sont isométriques, on conclut que les angles DBP et EBP sont isométriques. BP est donc une bissectrice.

On considère maintenant le triangle ABC suivant, dans lequel on a tracé les bissectrices des angles BAC et ACB qui se croisent en O.

2010_01_02_06Puisque O est sur la bissectrice de l’angle BAC, il est équidistant des côtés AB et AC. Puisque O est aussi sur la bissectrice de l’angle ACB, il est équidistant des côtés BC et de AC. Par conséquent, il est donc aussi équidistant des côtés AB et BC. O est donc aussi sur la bissectrice de l’angle ABC. Les bissectrices se coupent en un point : c’est le centre du cercle inscrit. En effet, les distances de O à AB, de O à AC et de O à BC, toutes égales, jouent le rôle de rayons de ce cercle, rayons perpendiculaires aux côtés du triangle (définition de distance). Les côtés du triangle sont donc tangents au cercle.

Proposition 2 : La hauteur issue de l’angle droit d’un triangle rectangle détermine deux petits triangles semblables entre-eux et aussi semblables avec le grand triangle de départ.

Cette proposition est vue en quatrième secondaire. On considère le triangle ABC rectangle en B suivant. On trace la hauteur BD.

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Par définition de hauteur, l’angle ADB est droit et le triangle ADB est rectangle. Les triangles ABC et ADB partagent l’angle A, ils sont donc semblables par le cas de similitude AA.

Par définition de hauteur, l’angle BDC est droit et le triangle BDC est aussi rectangle. Les triangles ABC et BDC partagent l’angle C et ils sont donc semblables par le cas de similitude AA.

Puisque les triangles ADB et BDC sont tous deux semblables au triangle ABC, on conclut qu’il sont aussi semblables entre eux.

Proposition 3 : Dans un triangle rectangle, le milieu de l’hypoténuse est équidistant des trois sommets.

On considère le triangle ABC rectangle en B suivant. On trace le point milieu E de BC. On trace ensuite la perpendiculaire à BC passant par E. Cette perpendiculaire coupe AC en D.

2010_01_02_08Il reste à montrer que overlineAD, BD et CD sont isométriques. Comme E est le point milieu de BC, on trouve que BE et CE sont isométriques. Les angles BED et CED sont également isométriques. Les triangles BED et CED partageant le même côté DE, on trouve qu’ils sont isométriques par le cas CAC. Et comme dans les triangles isométriques les côtés homologues sont isométriques, on trouve que BD et CD sont isométriques. La moitié du travail reste à faire.

Par la suite, on remarque que 180=mBAD+mABE+mDCEEt comme l’angle ABE est droit, on obtient d’abord 180=mBAD+90+mDCEpuis 90mDCE=mBADComme dans les triangles isométriques, les angles homologues sont isométriques, on trouve DBEDCEEn remplaçant dans l’équation précédente, on obtient : 90mDBE=mBADOr, que vaut l’angle ABD ? Tout simplement 90mDBE=mABDpuisqu’il s’agit d’angles adjacents complémentaires. On obtient donc : mBAD=mABDLe triangle ABD est donc isocèle et, par conséquent, les côtés AD et BD sont isométriques.

Proposition 4 : Si ABCD est un quadrilatère (avec les diagonales AC et BD) et que les angles BAC et BDC sont des angles droits, alors le quadrilatère est inscriptible dans un cercle (en d’autres mots, on peut tracer un cercle passant par ABCD).2010_01_02_09On trace O, le milieu de BC. Les triangles BAC et BDC sont tous les deux rectangles et possède la même hypoténuse BC. Le point O est le milieu de cette hypoténuse et, par la proposition 3, est donc équidistant de B, de A, de D et de C. On peut donc tracer un cercle de centre O passant par A, B, C, et D.

Proposition 5 : Les angles opposés d’un quadrilatère inscriptible dans un cercle sont supplémentaires.

On considère le quadrilatère ABDC inscrit dans le cercle de centre O suivant :

2010_01_02_10Dans le triangle ABC, on trouve que mBAC+mACB+mABC=180Les angles BAC et BDC sont des angles inscrits qui interceptent le même arc BC. Ils sont donc isométriques. BACBDCLes angles ACB et ADB sont des angles inscrits qui interceptent le même arc AB. Ils sont donc isométriques. ACBADBEn substituant, on obtient : mBDC+mADB+mABC=180Mais comme mADC=mBDC+mADBon obtient : mADC+mABC=180Voilà !

Il est fort possible, à ce moment, que vous trouviez que ces cinq propositions ne suggèrent rien qui puisse aider à trouver l’aire d’un triangle. Et pourtant ! C’est tout ce dont Héron avait besoin pour compléter sa longue et ingénieuse preuve !

On considère un triangle ABC quelconque comme celui de la figure suivante. Par convention, on pose a=mBC,b=mAC,mAC

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On trace les trois bissectrices des angles du triangle. Par la proposition 1, ces trois bissectrices se rencontrent en O. Par la même proposition, on sait que O est à égale distance des trois côtés du triangle : on appelle cette distance r et on trace le cercle de centre O et de rayon r. Ce cercle est tangent à AC en F, à BC en E et à AB en D. On a donc mOD=mOE=mOF=rEnfin, puisqu’il apparait dans la formule de Héron, on pose s comme le demi-périmètre s=a+b+c2Pour des raisons qui ne sont pas apparentes pour l’instant, on prolonge BA jusqu’à G de telle sorte que AGCEClairement, l’aire du triangle ABC est égale à la somme des aires des trois triangles ABO, ACO et BCO.

Avec la bonne vieille formule Aire du triangle = base×hauteur2Héron trouve Aire(ABO)=cr2Aire(ACO)=br2Aire(BCO)=ar2En posant Aire(ABC)=Aire(BCO)+Aire(ACO)+Aire(ABO)et en remplaçant les aires par les expressions trouvées, il obtient Aire(ABC)=ar2+br2+cr2En mettant r en évidence, il trouve ensuite Aire(ABC)=r(a+b+c2)ou tout simplement Aire(ABC)=rs

C’est remarquable puisqu’il fait déjà apparaitre le demi-périmètre s dans la formule d’aire. Remarquable, certes, mais l’objectif final est encore très loin.

En se référant à notre figure, et en se rappelant que les bissectrices déterminent des angles isométriques, on découvre une panoplie de triangles isométriques. Par exemple, les triangles CFO et CEO possèdent déjà deux angles homologues isométriques (l’angle droit et celui formé par la bissectrice). Leur troisième angle homologue étant conséquemment isométrique (la somme des angles intérieurs d’un triangle vaut toujours 180) et le côté CO étant partagé par les deux triangles, on affirme, par le cas d’isométrie ACA, que les triangles CFO et CEO sont isométriques. Héron trouve de la même manière CFOCEO,AFOADO,BDOBEOEt comme dans les triangles isométriques les côtés et les angles homologues sont isométriques, il trouve aussi ADAF,BDBE,CECFet AODAOF,BODBOE,COECOFÀ ce moment, Héron remarque que mBG=mAG+mAD+mBDce qui est égal à mBG=12(2mAG+2mAD+2mBD)et donc mBG=12(mAG+mAG+mAD+mAD+mBD+mBD)ce qui fait, après quelques substitutions, mBG=12(mAG+mAG+mAD+mAF+mBD+mBE)Mais comme il avait défini au départ AGCEil trouve finalementmBG=12(mCE+mCF+mAD+mAF+mBD+mBE)ce qui fait en réarrangeant les termes mBG=12((mBE+mCE)+(mAD+mBD)+(mAF+mCF))ou tout simplement mBG=12(a+b+c)=sLa mesure du segment BG est donc égale au demi-périmètre ! Il semble que Héron voulait avoir ce segment devant les yeux avant de continuer. Cela dit, il déduit certaines mesures qui nous seront utiles sous peu. Il trouve d’abordsc=mBGmAB=mAGHéron trouve ensuite sb=mBGmACce qui faitsb=(mBD+mAD+mAG)(mAF+mCF)puis en remplaçantsb=(mBD+mAD+mCE)(mAD+mCE)Il obtient doncsb=mBD+mAD+mCEmADmCEou tout simplementsb=mBDEnfin, il trouvesa=mBGmBCce qui faitsa=(mBD+mAD+mAG)(mBEmCE)et donc après substitution, sa=mBD+mAD+mAGmBDmCEPuisqueAGCEil obtient simplement sa=mADCes trois relations avec le demi-périmètre apparaissent dans la formule de Héron. Ils feront l’objet de substitutions lors d’une étape cruciale de la preuve.

On reprend maintenant notre figure initiale et on y ajoute quelques constructions. Héron trace OL perpendiculaire à OB. OL coupe AB en K. Il trace ensuite AM perpendiculaire à AB par A. On nomme H le point d’intersection de OL et AM.

Le résultat de cette construction qui nous intéresse est le quadrilatère AHBO. Puisque les diagonales AB et OH sont perpendiculaires aux côtés AH et BO, on déduit, par la proposition 4, qu’il s’agit d’un quadrilatère inscriptible dans un cercle. Par la proposition 5, on peut aussi affirmer que ses angles opposés sont supplémentaires. On a donc mAHB+mAOB=180Héron porte ensuite son attention sur les angles autour de O. Afin de rendre le tout plus facile à lire, on pose α=mCOE=mCOFβ=mBOE=mBODγ=mAOF+mAOD

Il obtient facilement l’égalité suivante 2α+2β+2γ=360et en divisant chaque côté par 2, α+β+γ=180Mais comme β+γ=mAOBil substitue pour obtenir α+mAOB=180Et puisque mAHB+mAOB=180il trouve α=mAHBCette dernière égalité reste particulièrement intéressant puisqu’elle nous permet d’énoncer une nouvelle paire de triangle semblables, à savoir les triangles CFO et BAH puisqu’ils sont aussi tous les deux rectangles (cas de similitude AA).Et comme dans les triangles semblables, les côtés homologues sont dans le même rapport, Héron établit la proportion suivante : mABmAH=mCFmOF=mAGrEn intervertissant les extrêmes, il obtient cette égalité mABmAG=mAHrLes angles AKH et OKD sont opposés par le sommet et donc isométriques. Héron établit donc la similitude des triangles KAH et KDO, en utilisant le cas AA puisque les deux triangles comportent aussi un angle droit. Il obtient ainsi cette deuxième proportion importante mAHmAK=mODmKD=rmKDEn intervertissant les extrêmes, il obtient mAHr=mAKmKDEt en combinant l’équation précédente et celle-ci mABmAG=mAHril obtient mABmAG=mAKmKDMais Héron n’a pas encore terminé avec les triangles semblables ! Il s’attaque au triangle rectangle KBO et sa hauteur OD. Par la proposition 2, on sait que les triangles KDO et ODB sont semblables. Héron établit donc cette (autre) proportion mKDr=rmBDque l’on peut réécrire, si on le préfère, comme mKDmBD=r2Héron reprend ensuite mABmAG=mAKmKDet ajoute 1 de chaque côté mABmAG+1=mAKmKD+1En mettant sur dénominateur commun et en effectuant l’addition, il obtient mAB+mAGmAG=mAK+mKDmKDce qui n’est autre que mBGmAG=mADmKDHéron multiplie le côté gauche de l’équation par mBGmBGet le côté droit de l’équation par mBDmBDIl obtientmBGmBGmAGmBG=mADmBDmKDmBDOr, puisque mKDmBD=r2il remplace et obtient(mBG)2mAGmBG=mADmBDr2que l’on peut enfin réécrire (mBG)2r2=mADmBDmAGmBGAh ha ! Rappelons nous que Héron avait plus haut trouvé s=mBGsa=mADsb=mBDsc=mAGEt donc en remplaçant, il trouve s2r2=(sa)(sb)(sc)(s)En extrayant la racine carrée et en réarrangeant l’ordre des facteurs, il trouve finalement rs=s(sa)(sb)(sc)Et comme il avait Aire(ABC)=rsil lui suffit d’écrire Aire(ABC)=s(sa)(sb)(sc)Magnifique !

Référence : William Dunham (1991), Journey Through Genius

7 thoughts on “La formule de Héron

  1. Comme j’aime ce blogue.
    J’aurais une petite question : avec quel logiciel réalises-tu tes graphiques ?

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