La formule de Héron

La formule de Héron nous permet de trouver l’aire d’un triangle quelconque connaissant les mesures de ses trois côtés. Il suffit de calculer d’abord le demi-périmètre \(s\) du triangle \(ABC\), avec côtés \(a\), \(b\) et \(c\), et ensuite de calculer \[\text{Aire}(\triangle ABC) = \sqrt{s\, (s-a)(s-b)(s-c)}\]Il existe de nombreuses preuves de ce résultat (en utilisant Pythagore ou un peu de trigonométrie) mais aucune n’est aussi belle que celle fournie par Héron même. Sa preuve se lit comme un bon roman : elle est ingénieuse, élégante et garde le lecteur en haleine jusqu’à ce que la finale se dévoile abruptement.

La preuve repose sur cinq résultats. On prend d’abord quelques minutes pour les apprécier.

Proposition 1 : les bissectrices d’un triangle se rencontrent en un point. C’est le centre du cercle inscrit dans le triangle.

La bissectrice est la droite qui coupe l’angle en deux angles isométriques. On considère l’angle \(ABC\) suivant. On trace la bissectrice \(BP\).

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On doit montrer que tout point de la bissectrice est équidistant des côtés de l’angle. On trace les segments perpendiculaires à \(AB\) et \(BC\) passant par \(P\), respectivement \(\overline{DP}\) et \(\overline{EP}\), et respectivement les distances de \(P\) à \(AB\) et de \(P\) à \(BC\). Par définition de bissectrice, les angles \(ABP\) et \(CBP\) sont isométriques. Les angles \(BDP\) et \(BEP\) sont droits (et donc isométriques). Et comme la somme des mesures des angles intérieurs d’un triangle est toujours égale à 180°, on trouve que les angles \(BPD\) et \(BPE\) sont forcément isométriques eux-aussi. Les triangles \(BDP\) et \(BEP\) partageant tous les deux le côté \(BP\), on trouve qu’ils sont isométriques par le cas ACA. Et comme dans les triangles isométrique les côtés homologues sont isométriques, on trouve que \(\overline{DP}\) et \(\overline{EP}\) sont isométriques. Le point \(P\) est donc équidistant des deux côtés de l’angle.

La réciproque est aussi vraie. Si \(P\) est équidistant de \(AB\) et de \(BC\), alors on a que \(\overline{DP}\) et \(\overline{EP}\) sont isométriques. Les deux triangles \(BDP\) et \(BEP\) partagent le côté \(BP\). Les deux triangles \(BDP\) et \(BEP\) sont rectangles (par définition de distance) et donc, avec Pythagore, on trouve que les segments \(BE\) et \(BD\) sont eux-aussi isométriques. Les triangles sont donc isométriques par le cas CCC et comme dans les triangles isométriques, les angles homologues sont isométriques, on conclut que les angles \(DBP\) et \(EBP\) sont isométriques. \(BP\) est donc une bissectrice.

On considère maintenant le triangle \(ABC\) suivant, dans lequel on a tracé les bissectrices des angles \(BAC\) et \(ACB\) qui se croisent en \(O\).

2010_01_02_06Puisque \(O\) est sur la bissectrice de l’angle \(BAC\), il est équidistant des côtés \(AB\) et \(AC\). Puisque \(O\) est aussi sur la bissectrice de l’angle \(ACB\), il est équidistant des côtés \(BC\) et de \(AC\). Par conséquent, il est donc aussi équidistant des côtés \(AB\) et \(BC\). \(O\) est donc aussi sur la bissectrice de l’angle \(ABC\). Les bissectrices se coupent en un point : c’est le centre du cercle inscrit. En effet, les distances de \(O\) à \(\overline{AB}\), de \(O\) à \(\overline{AC}\) et de \(O\) à \(\overline{BC}\), toutes égales, jouent le rôle de rayons de ce cercle, rayons perpendiculaires aux côtés du triangle (définition de distance). Les côtés du triangle sont donc tangents au cercle.

Proposition 2 : La hauteur issue de l’angle droit d’un triangle rectangle détermine deux petits triangles semblables entre-eux et aussi semblables avec le grand triangle de départ.

Cette proposition est vue en quatrième secondaire. On considère le triangle \(ABC\) rectangle en \(B\) suivant. On trace la hauteur \(\overline{BD}\).

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Par définition de hauteur, l’angle \(ADB\) est droit et le triangle \(ADB\) est rectangle. Les triangles \(ABC\) et \(ADB\) partagent l’angle \(A\), ils sont donc semblables par le cas de similitude AA.

Par définition de hauteur, l’angle \(BDC\) est droit et le triangle \(BDC\) est aussi rectangle. Les triangles \(ABC\) et \(BDC\) partagent l’angle \(C\) et ils sont donc semblables par le cas de similitude AA.

Puisque les triangles \(ADB\) et \(BDC\) sont tous deux semblables au triangle \(ABC\), on conclut qu’il sont aussi semblables entre eux.

Proposition 3 : Dans un triangle rectangle, le milieu de l’hypoténuse est équidistant des trois sommets.

On considère le triangle \(ABC\) rectangle en \(B\) suivant. On trace le point milieu \(E\) de \(\overline{BC}\). On trace ensuite la perpendiculaire à \(\overline{BC}\) passant par \(E\). Cette perpendiculaire coupe \(\overline{AC}\) en \(D\).

2010_01_02_08Il reste à montrer que \(overline{AD}\), \(\overline{BD}\) et \(\overline{CD}\) sont isométriques. Comme \(E\) est le point milieu de \(\overline{BC}\), on trouve que \(\overline{BE}\) et \(\overline{CE}\) sont isométriques. Les angles \(BED\) et \(CED\) sont également isométriques. Les triangles \(BED\) et \(CED\) partageant le même côté \(DE\), on trouve qu’ils sont isométriques par le cas CAC. Et comme dans les triangles isométriques les côtés homologues sont isométriques, on trouve que \(\overline{BD}\) et \(\overline{CD}\) sont isométriques. La moitié du travail reste à faire.

Par la suite, on remarque que \[180^{\circ}=m\angle BAD + m\angle ABE + m\angle DCE\]Et comme l’angle \(ABE\) est droit, on obtient d’abord \[180^{\circ} = m\angle BAD + 90^{\circ} + m\angle DCE\]puis \[90^{\circ}-m\angle DCE = m\angle BAD\]Comme dans les triangles isométriques, les angles homologues sont isométriques, on trouve \[\angle DBE \cong \angle DCE\]En remplaçant dans l’équation précédente, on obtient : \[90^{\circ}-m\angle DBE = m\angle BAD\]Or, que vaut l’angle \(ABD\) ? Tout simplement \[90^{\circ}-m\angle DBE = m\angle ABD\]puisqu’il s’agit d’angles adjacents complémentaires. On obtient donc : \[m\angle BAD = m\angle ABD\]Le triangle \(ABD\) est donc isocèle et, par conséquent, les côtés \(AD\) et \(BD\) sont isométriques.

Proposition 4 : Si ABCD est un quadrilatère (avec les diagonales AC et BD) et que les angles BAC et BDC sont des angles droits, alors le quadrilatère est inscriptible dans un cercle (en d’autres mots, on peut tracer un cercle passant par ABCD).2010_01_02_09On trace \(O\), le milieu de \(\overline{BC}\). Les triangles \(BAC\) et \(BDC\) sont tous les deux rectangles et possède la même hypoténuse \(BC\). Le point \(O\) est le milieu de cette hypoténuse et, par la proposition 3, est donc équidistant de \(B\), de \(A\), de \(D\) et de \(C\). On peut donc tracer un cercle de centre \(O\) passant par \(A\), \(B\), \(C\), et \(D\).

Proposition 5 : Les angles opposés d’un quadrilatère inscriptible dans un cercle sont supplémentaires.

On considère le quadrilatère \(ABDC\) inscrit dans le cercle de centre \(O\) suivant :

2010_01_02_10Dans le triangle \(ABC\), on trouve que \[m\angle BAC + m\angle ACB + m\angle ABC = 180^{\circ}\]Les angles \(BAC\) et \(BDC\) sont des angles inscrits qui interceptent le même arc \(BC\). Ils sont donc isométriques. \[\angle BAC \cong \angle BDC\]Les angles \(ACB\) et \(ADB\) sont des angles inscrits qui interceptent le même arc \(AB\). Ils sont donc isométriques. \[\angle ACB \cong \angle ADB\]En substituant, on obtient : \[m\angle BDC + m\angle ADB + m\angle ABC = 180^{\circ}\]Mais comme \[m\angle ADC = m\angle BDC + m\angle ADB\]on obtient : \[m\angle ADC + m\angle ABC = 180^{\circ}\]Voilà !

Il est fort possible, à ce moment, que vous trouviez que ces cinq propositions ne suggèrent rien qui puisse aider à trouver l’aire d’un triangle. Et pourtant ! C’est tout ce dont Héron avait besoin pour compléter sa longue et ingénieuse preuve !

On considère un triangle \(ABC\) quelconque comme celui de la figure suivante. Par convention, on pose \[a = m\overline{BC}, \quad b = m\overline{AC}, \quad m\overline{AC}\]

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On trace les trois bissectrices des angles du triangle. Par la proposition 1, ces trois bissectrices se rencontrent en \(O\). Par la même proposition, on sait que \(O\) est à égale distance des trois côtés du triangle : on appelle cette distance \(r\) et on trace le cercle de centre \(O\) et de rayon \(r\). Ce cercle est tangent à \(\overline{AC}\) en \(F\), à \(\overline{BC}\) en \(E\) et à \(\overline{AB}\) en \(D\). On a donc \[m\overline{OD} = m\overline{OE} = m\overline{OF} = r\]Enfin, puisqu’il apparait dans la formule de Héron, on pose \(s\) comme le demi-périmètre \[s = \frac{a+b+c}{2}\]Pour des raisons qui ne sont pas apparentes pour l’instant, on prolonge \(\overline{BA}\) jusqu’à \(G\) de telle sorte que \[\overline{AG}\cong \overline{CE}\]Clairement, l’aire du triangle \(ABC\) est égale à la somme des aires des trois triangles \(ABO\), \(ACO\) et \(BCO\).

Avec la bonne vieille formule \[\text{Aire du triangle} \ = \ \frac{\text{base}\times \text{hauteur}}{2}\]Héron trouve \begin{align*}\text{Aire}(\triangle ABO) &=\frac{cr}{2} \\ \\ \text{Aire}(\triangle ACO) &= \frac{br}{2} \\ \\ \text{Aire}(\triangle BCO) &=\frac{ar}{2}\end{align*}En posant \[\text{Aire}(\triangle ABC) = \text{Aire}(\triangle BCO) + \text{Aire}(\triangle ACO) + \text{Aire}(\triangle ABO)\]et en remplaçant les aires par les expressions trouvées, il obtient \[\text{Aire}(\triangle ABC) = \frac{ar}{2} + \frac{br}{2} + \frac{cr}{2}\]En mettant \(r\) en évidence, il trouve ensuite \[\text{Aire}(\triangle ABC) = r \left(\frac{a+b+c}{2}\right)\]ou tout simplement \[\text{Aire}(\triangle ABC) = rs\]

C’est remarquable puisqu’il fait déjà apparaitre le demi-périmètre \(s\) dans la formule d’aire. Remarquable, certes, mais l’objectif final est encore très loin.

En se référant à notre figure, et en se rappelant que les bissectrices déterminent des angles isométriques, on découvre une panoplie de triangles isométriques. Par exemple, les triangles \(CFO\) et \(CEO\) possèdent déjà deux angles homologues isométriques (l’angle droit et celui formé par la bissectrice). Leur troisième angle homologue étant conséquemment isométrique (la somme des angles intérieurs d’un triangle vaut toujours \(180^{\circ}\)) et le côté \(\overline{CO}\) étant partagé par les deux triangles, on affirme, par le cas d’isométrie ACA, que les triangles \(CFO\) et \(CEO\) sont isométriques. Héron trouve de la même manière \[\triangle CFO \cong \triangle CEO, \quad \triangle AFO \cong \triangle ADO, \quad \triangle BDO \cong \triangle BEO\]Et comme dans les triangles isométriques les côtés et les angles homologues sont isométriques, il trouve aussi \[\overline{AD} \cong \overline{AF}, \quad \overline{BD} \cong \overline{BE}, \quad \overline{CE} \cong \overline{CF}\]et \[\angle AOD \cong \angle AOF, \quad \angle BOD \cong \angle BOE, \quad \angle COE \cong \angle COF\]À ce moment, Héron remarque que \[m\overline{BG} = m\overline{AG}+m\overline{AD}+m\overline{BD}\]ce qui est égal à \[m\overline{BG}=\frac{1}{2}\left(2m\overline{AG}+2m\overline{AD}+2m\overline{BD}\right)\]et donc \[m\overline{BG}=\frac{1}{2}\left(m\overline{AG}+m\overline{AG}+m\overline{AD}+m\overline{AD}+m\overline{BD}+m\overline{BD}\right)\]ce qui fait, après quelques substitutions, \[m\overline{BG}=\frac{1}{2}\left(m\overline{AG}+m\overline{AG}+m\overline{AD}+m\overline{AF}+m\overline{BD}+m\overline{BE}\right)\]Mais comme il avait défini au départ \[\overline{AG}\cong \overline{CE}\]il trouve finalement\[m\overline{BG}=\frac{1}{2}\left(m\overline{CE}+m\overline{CF}+m\overline{AD}+m\overline{AF}+m\overline{BD}+m\overline{BE}\right)\]ce qui fait en réarrangeant les termes \[m\overline{BG} = \frac{1}{2}\left(\left(m\overline{BE}+m\overline{CE}\right)+\left(m\overline{AD}+m\overline{BD}\right)+\left(m\overline{AF}+m\overline{CF}\right)\right)\]ou tout simplement \begin{align*}m\overline{BG} &= \frac{1}{2}\left(a+b+c\right) \\ \\ &= s\end{align*}La mesure du segment \(BG\) est donc égale au demi-périmètre ! Il semble que Héron voulait avoir ce segment devant les yeux avant de continuer. Cela dit, il déduit certaines mesures qui nous seront utiles sous peu. Il trouve d’abord\[s-c=m\overline{BG}-m\overline{AB}=m\overline{AG}\]Héron trouve ensuite \[s-b=m\overline{BG}-m\overline{AC}\]ce qui fait\[s-b=\left(m\overline{BD}+m\overline{AD}+m\overline{AG}\right)-\left(m\overline{AF}+m\overline{CF}\right)\]puis en remplaçant\[s-b=\left(m\overline{BD}+m\overline{AD}+m\overline{CE}\right)-\left(m\overline{AD}+m\overline{CE}\right)\]Il obtient donc\[s-b=m\overline{BD}+m\overline{AD}+m\overline{CE}-m\overline{AD}-m\overline{CE}\]ou tout simplement\[s-b=m\overline{BD}\]Enfin, il trouve\[s-a=m\overline{BG}-m\overline{BC}\]ce qui fait\[s-a=\left(m\overline{BD}+m\overline{AD}+m\overline{AG}\right)-\left(m\overline{BE}-m\overline{CE}\right)\]et donc après substitution, \[s-a=m\overline{BD}+m\overline{AD}+m\overline{AG}-m\overline{BD}-m\overline{CE}\]Puisque\[\overline{AG}\cong\overline{CE}\]il obtient simplement \[s-a=m\overline{AD}\]Ces trois relations avec le demi-périmètre apparaissent dans la formule de Héron. Ils feront l’objet de substitutions lors d’une étape cruciale de la preuve.

On reprend maintenant notre figure initiale et on y ajoute quelques constructions. Héron trace \(OL\) perpendiculaire à \(OB\). \(OL\) coupe \(AB\) en \(K\). Il trace ensuite \(AM\) perpendiculaire à \(AB\) par \(A\). On nomme \(H\) le point d’intersection de \(OL\) et \(AM\).

Le résultat de cette construction qui nous intéresse est le quadrilatère \(AHBO\). Puisque les diagonales \(\overline{AB}\) et \(\overline{OH}\) sont perpendiculaires aux côtés \(\overline{AH}\) et \(\overline{BO}\), on déduit, par la proposition 4, qu’il s’agit d’un quadrilatère inscriptible dans un cercle. Par la proposition 5, on peut aussi affirmer que ses angles opposés sont supplémentaires. On a donc \[m\angle AHB+m\angle AOB = 180^{\circ}\]Héron porte ensuite son attention sur les angles autour de \(O\). Afin de rendre le tout plus facile à lire, on pose \begin{align*}\alpha &= m\angle COE = m\angle COF \\ \\ \beta &=m\angle BOE = m\angle BOD \\ \\ \gamma &= m\angle AOF + m\angle AOD\end{align*}

Il obtient facilement l’égalité suivante \[2\alpha + 2\beta + 2\gamma = 360^{\circ}\]et en divisant chaque côté par \(2\), \[\alpha + \beta + \gamma = 180^{\circ}\]Mais comme \[\beta + \gamma = m\angle AOB\]il substitue pour obtenir \[\alpha + m\angle AOB = 180^{\circ}\]Et puisque \[m\angle AHB + m\angle AOB = 180^{\circ}\]il trouve \[\alpha = m\angle AHB\]Cette dernière égalité reste particulièrement intéressant puisqu’elle nous permet d’énoncer une nouvelle paire de triangle semblables, à savoir les triangles \(CFO\) et \(BAH\) puisqu’ils sont aussi tous les deux rectangles (cas de similitude AA).Et comme dans les triangles semblables, les côtés homologues sont dans le même rapport, Héron établit la proportion suivante : \[\frac{m\overline{AB}}{m\overline{AH}} = \frac{m\overline{CF}}{m\overline{OF}} = \frac{m\overline{AG}}{r}\]En intervertissant les extrêmes, il obtient cette égalité \[\frac{m\overline{AB}}{m\overline{AG}} = \frac{m\overline{AH}}{r}\]Les angles \(AKH\) et \(OKD\) sont opposés par le sommet et donc isométriques. Héron établit donc la similitude des triangles \(KAH\) et \(KDO\), en utilisant le cas AA puisque les deux triangles comportent aussi un angle droit. Il obtient ainsi cette deuxième proportion importante \[\frac{m\overline{AH}}{m\overline{AK}} = \frac{m\overline{OD}}{m\overline{KD}} = \frac{r}{m\overline{KD}}\]En intervertissant les extrêmes, il obtient \[\frac{m\overline{AH}}{r} = \frac{m\overline{AK}}{m\overline{KD}}\]Et en combinant l’équation précédente et celle-ci \[\frac{m\overline{AB}}{m\overline{AG}} = \frac{m\overline{AH}}{r}\]il obtient \[\frac{m\overline{AB}}{m\overline{AG}} = \frac{m\overline{AK}}{m\overline{KD}}\]Mais Héron n’a pas encore terminé avec les triangles semblables ! Il s’attaque au triangle rectangle \(KBO\) et sa hauteur \(\overline{OD}\). Par la proposition 2, on sait que les triangles \(KDO\) et \(ODB\) sont semblables. Héron établit donc cette (autre) proportion \[\frac{m\overline{KD}}{r} = \frac{r}{m\overline{BD}}\]que l’on peut réécrire, si on le préfère, comme \[m\overline{KD}\cdot m\overline{BD} = r^{2}\]Héron reprend ensuite \[\frac{m\overline{AB}}{m\overline{AG}} = \frac{m\overline{AK}}{m\overline{KD}}\]et ajoute \(1\) de chaque côté \[\frac{m\overline{AB}}{m\overline{AG}}+1 = \frac{m\overline{AK}}{m\overline{KD}}+1\]En mettant sur dénominateur commun et en effectuant l’addition, il obtient \[\frac{m\overline{AB}+m\overline{AG}}{m\overline{AG}}=\frac{m\overline{AK}+m\overline{KD}}{m\overline{KD}}\]ce qui n’est autre que \[\frac{m\overline{BG}}{m\overline{AG}}=\frac{m\overline{AD}}{m\overline{KD}}\]Héron multiplie le côté gauche de l’équation par \[\frac{m\overline{BG}}{m\overline{BG}}\]et le côté droit de l’équation par \[\frac{m\overline{BD}}{m\overline{BD}}\]Il obtient\[\frac{m\overline{BG}\cdot m\overline{BG}}{m\overline{AG}\cdot m\overline{BG}}=\frac{m\overline{AD}\cdot m\overline{BD}}{m\overline{KD}\cdot m\overline{BD}}\]Or, puisque \[m\overline{KD}\cdot m\overline{BD} = r^{2}\]il remplace et obtient\[\frac{\left(m\overline{BG}\right)^{2}}{m\overline{AG}\cdot m\overline{BG}}=\frac{m\overline{AD}\cdot m\overline{BD}}{r^{2}}\]que l’on peut enfin réécrire \[\left(m\overline{BG}\right)^{2}\cdot r^{2}=m\overline{AD} \cdot m\overline{BD}\cdot m\overline{AG}\cdot m\overline{BG}\]Ah ha ! Rappelons nous que Héron avait plus haut trouvé \begin{align*}s&=m\overline{BG}\\ \\ s-a &=m\overline{AD}\\ \\ s-b &=m\overline{BD} \\ \\ s-c &= m\overline{AG}\end{align*}Et donc en remplaçant, il trouve \[s^{2}\cdot r^{2}=(s-a)(s-b)(s-c)(s)\]En extrayant la racine carrée et en réarrangeant l’ordre des facteurs, il trouve finalement \[rs = \sqrt{s \, (s-a)(s-b)(s-c)}\]Et comme il avait \[\text{Aire}(\triangle ABC) = rs\]il lui suffit d’écrire \[\text{Aire}(\triangle ABC) = \sqrt{s \, (s-a)(s-b)(s-c)}\]Magnifique !

Référence : William Dunham (1991), Journey Through Genius

Le plus grand nombre inférieur à…

Quel est le plus grand nombre réel appartenant à l’intervalle ouvert \(\left[0,\ 1\right[\) ?

Autrement dit, quel est le plus grand nombre réel positif inférieur à \(1\).  On suppose que ce nombre est connu, et on l’appelle \(x\).  On considère le nombre\[y = \frac{x+1}{2}\]Puisque \(x<1\) il est facile de voir que\[y=\frac{x + 1}{2}<\frac{1+1}{2}=\frac{2}{2}=1\]c’est-à-dire que\[y \in \left[0, \ 1\right[\]Or, il est aussi facile de voir que\[y>x\]car toujours avec \(x<1\) on a\[y = \frac{x+1}{2}>\frac{x+x}{2} = \frac{2x}{2} = x\]ce qui contredit notre hypothèse de départ, à savoir que \(x\) est le plus grand nombre réel positif inférieur à \(1\). Conclusion ? Il n’existe pas de plus grand nombre réel positif inférieur à \(1\).

Une vie entière en moins d’une heure…

Archimède a été le premier mathématicien à donner une estimation relativement précise de la valeur de \(\pi\), le rapport entre la circonférence d’un cercle et son diamètre.  En coinçant le cercle entre des polygones réguliers inscrits et circonscrits à \(12\), \(24\), \(48\) et finalement \(96\) côtés, et en utilisant les périmètres de ces polygones, il a réussit à coincer la valeur de \(\pi\) \[3,\!1408\approx3\tfrac{10}{71}<\pi<3\tfrac{1}{7} \approx3,\!1429\]ce qui confère à son estimation deux décimales de précision, remarquable pour l’époque !  Chaque itération de cette méthode amène une nouvelle racine carrée, si bien que l’estimation de \(\pi\) d’Archimède mène à l’expression suivante,  très belle mais très peu pratique :\[\pi\approx48\sqrt{2-\sqrt{2+\sqrt{2+\sqrt{2+\sqrt{3}}}}}\]Autant de racines à calculer à la main est un vrai cauchemar.  Et pendant des centaines d’années, aucune amélioration notable de la méthode n’a été trouvée et aucune autre méthode efficace inventée.  La méthode d’Archimède, longue et fastidieuse, manipulée par des esprits pour le moins patients, donne cependant lentement de meilleurs résultats au prix de calculs (à la main) d’une longueur sans mesure !  François Viète (1540-1603), en 1579, portant le nombre de côtés du polygone régulier à \(6\times\,2^{16}\) soit un faramineux \(393\,216\) côtés, trouve une précision de neuf décimales !  L’approximation de Viète comporte, dans son calcul, dix-sept racines carrées emboîtées.  Terrible !  Mais cette méthode à la dure atteint son paroxysme avec les efforts ridicules de Ludolph van Ceulen qui y consacre la plus grande partie de sa vie.  Travail de moine pour le moins colossal : l’expression de van Ceulen comporte 5 douzaines de racines carrées emboîtées.  Il évalue chacune de ces racines à 35 décimales… à la main !   Son approximation de \(\pi\), bonne pour \(35\) décimales de précision utilisait un polygone régulier comportant \(2^{62}\) côtés ! Un nombre astronomique à \(19\) chiffres : \(4\,611\,686\,018\,427\,387\,904\).

Entre en scène le grand Leonhard Euler.

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On connaissait depuis James Gregory la série infinie de la fonction arctangente\[\arctan(x)=x-\frac{x^3}{3}+\frac{x^5}{5}-\frac{x^7}{7}+\frac{x^9}{9}-\frac{x^{11}}{1}+\ \dots\]En posant \(x= 1\) on obtient \[\frac{\pi}{4} = \arctan(1)=1-\frac{1}{3}+\frac{1}{5}-\frac{1}{7}+\frac{1}{9}-\ \dots \]Une série d’additions et de soustractions de fractions alternées… sans racine ! Malheureusement, cette série converge très lentement.  Si lentement que pour avoir la même précision qu’Archimède, il nous faudrait faire la somme de plus de \(120\) termes et pour obtenir la précision de Viète, plus d’un milliard de termes !  Cette série est donc complètement inutile pour le calcul de \(\pi\).  Euler remarque que cette série converge beaucoup plus rapidement pour des valeurs de \(x\) proche de zéro (les exposants de \(x\) augmentant de \(2\) à chaque terme).  On considère l’identité trigonométrique suivante : \[\tan(\alpha-\beta) =\frac{\tan(\alpha)-\tan(\beta)}{1+\tan(\alpha)\tan(\beta)}\]On peut réécrire cette identité comme \[\alpha-\beta=\arctan\left(\frac{\tan(\alpha)-\tan(\beta)}{1+\tan(\alpha)\tan(\beta)}\right)\]Euler pose alors \[\tan(\alpha) = \frac{x}{y}\]et \[\tan(\beta) = \frac{z}{w}\]afin d’obtenir\[\arctan\left(\frac{x}{y}\right)-\arctan\left(\frac{z}{w}\right)=\arctan\left(\frac{\frac{x}{y}-\frac{z}{w}}{1+\frac{x}{y}\cdot\frac{z}{w}}\right)\]ce qu’on peut réécrire plus simplement comme \[\arctan\left(\frac{x}{y}\right) = \arctan\left(\frac{z}{w}\right) + \arctan\left(\frac{xw-yz}{yw+xz}\right)\]Euler commence par poser \[x = y= z = 1, \ w = 2\]En remplaçant dans l’équation précédente, il trouve \[\frac{\pi}{4} = \arctan(1) = \arctan\left(\frac{1}{2}\right) + \arctan\left(\frac{1}{3}\right)\]ce qui donne\[\pi = 4\arctan\left(\frac{1}{2}\right) + 4\arctan\left(\frac{1}{3}\right)\]Euler ne s’arrêta pas là.  Les nombres \(\displaystyle \frac{1}{2}\) et \(\displaystyle \frac{1}{3}\) étant trop grands à son goût, il pose \[x =1, \ y = 2, \ z = 1, \ w = 7\]Il obtient donc\[\arctan\left(\frac{1}{2}\right)=\arctan\left(\frac{1}{7}\right)+ \arctan\left(\frac{5}{15}\right)\]ce qui fait \[\arctan\left(\frac{1}{2}\right)=\arctan\left(\frac{1}{7}\right)+\arctan\left(\frac{1}{3}\right)\]Il remplace par la suite dans l’équation précédente pour obtenir\[\pi=4\left(\arctan\left(\frac{1}{7}\right)+\arctan\left(\frac{1}{3}\right)\right)+4\arctan\left(\frac{1}{3}\right)\]ce qui fait\[\pi = 4\arctan\left(\frac{1}{7}\right)+8\arctan\left(\frac{1}{3}\right)\]Mais ce n’est pas encore assez pour le grand Euler. Il s’attaque maintenant au \(\displaystyle \frac{1}{3}\). Il pose\[x = 1, \ y = 3, \ z = 1, \ w=7\]et obtient\[\arctan\left(\frac{1}{3}\right) = \arctan\left(\frac{1}{7}\right) + \arctan\left(\frac{2}{11}\right)\]En substituant dans la dernière équation, il obtient\[\pi = 4\arctan\left(\frac{1}{7}\right) + 8\left(\arctan\left(\frac{1}{7}\right) + \arctan\left(\frac{2}{11}\right)\right)\]et donc plus simplement\[\pi=12\arctan\left(\frac{1}{7}\right) + 8\arctan\left(\frac{2}{11}\right)\]Dans une dernière itération, Euler pose\[x=2, \ y = 11, \ z= 1, \ w=7\]Il obtient alors\[\arctan\left(\frac{2}{11}\right) = \arctan\left(\frac{1}{7}\right) + \arctan\left(\frac{3}{79}\right)\]En remplaçant une dernière fois dans l’équation précédente, il obtient\[\pi = 12\arctan\left(\frac{1}{7}\right) + 8\left(\arctan\left(\frac{1}{7}\right) + \arctan\left(\frac{3}{79}\right)\right)\]et donc\[\pi = 20\arctan\left(\frac{1}{7}\right) + 8 \arctan\left(\frac{3}{79}\right)\]Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’équation ci-dessus est bien une équation, et non pas une approximation !  Les nombres \(\frac{1}{7}\) et \(\frac{3}{79}\) sont suffisamment petits pour que la convergence soit rapide.  En calculant les 6 premiers termes de chaque série, on obtient\begin{align*}\pi\  \approx\  20&\left(\frac{1}{7}-\frac{\left(\frac{1}{7}\right)^{3}}{3}+\frac{\left(\frac{1}{7}\right)^5}{5}-\frac{\left(\frac{1}{7}\right)^7}{7}+\frac{\left(\frac{1}{7}\right)^9}{9}-\frac{\left(\frac{1}{7}\right)^{11}}{11}\right)\\ +\,8&\left(\frac{3}{79}-\frac{\left(\frac{3}{79}\right)^{3}}{3}+\frac{\left(\frac{3}{79}\right)^5}{5}-\frac{\left(\frac{3}{79}\right)^7}{7}+\frac{\left(\frac{3}{79}\right)^9}{9}-\frac{\left(\frac{3}{79}\right)^{11}}{11}\right)\end{align*}ce qui fait\[\pi \approx \frac{2\,300\,019\,488\,949\,017\,845\,114\,732\,399\,340\,888}{732\,118\,941\,751\,498\,324\,731\,500\,616\,993\,015} \approx 3,\!141\,592\,653\,57\]Une approximation bonne pour \(10\) décimales, soit une de plus que Viète qui avait, je le rappelle, calculé dix-sept racines carrées emboîtées pour obtenir les siennes.

Euler a dit :

J’ai utilisé cette méthode pour calculer vingt décimales de précision à π et ces calculs m’ont demandé environ une heure de travail.

On ne peut qu’avoir une petite pensée pour le pauvre Ludolph van Ceulen !

Référence : William Dunham (2004), The Calculus Gallery