Partage équitable

Saviez-vous que dans un triangle, il existe toujours au moins une droite qui partage le périmètre et l’aire en deux parties égales en même temps ?

L’aire

On considère un point P dans un triangle ABC quelconque. Soit une droite qui passe par P et qui divise le triangle en deux régions. Sur le schéma ci-dessous, on a colorié les deux régions en rouge et en vert. On pose K l’aire du triangle ABC. L’aire du triangle rouge est rK et celle du quadrilatère vert est (1r)K avec, bien entendu, 0<r<1. Si les deux régions, la rouge et la verte, ont la même aire, c’est-à-dire si r=1r=12, alors on a gagné ! Cette droite fait l’affaire, inutile de cherche plus loin !thedudeminds_2015082602

Si les deux régions n’ont pas la même aire, comme c’est fort probablement le cas, voici comment on procède [1]. On effectue la rotation (par exemple, antihoraire) de la droite, autour du point P. Lorsque la droite tourne autour du point P, les aires changent. Si l’aire de la région rouge change, passant de rK à r1K, celle de la verte change aussi, passant de (1r)K à (1r1)K.thedudeminds_2015082603

Qu’arrive-t-il à la valeur de r lorsque la droite effectue un demi-tour ? Les régions rouge et verte s’intervertissent leur rôle. La droite étant envoyée sur elle-même grâce à la rotation de 180° de centre P, la région rouge, initialement d’aire rK, devient la région d’aire (1r)K, et vice-versa pour la région verte (initialement d’aire (1r)K, elle devient la région d’aire rK). Si r est au départ inférieur à 12, alors 1r est supérieur à 12 et, réciproquement, si r est au départ supérieur à 12, alors 1r est inférieur à 12. En passant de manière continue de r à r1, la valeur intermédiaire de 12 est certainement atteinte.

Le périmètre

Un raisonnement semblable peut être appliqué pour trouver une droite qui divise le périmètre en deux parties de même longueur.thedudeminds_2015082604

En effectuant la rotation de la droite autour du point P, les segments rouges et verts s’intervertissent leur rôle.thedudeminds_2015082605

Il est donc possible de trouver une droite qui divise le périmètre en deux parties de même longueur pour une certaine position intermédiaire. On note cependant qu’il ne s’agit pas, en général, de la même droite qui divise aussi l’aire en deux régions de même aire. On note aussi au passage que cet argument peut s’appliquer à n’importe quel polygone convexe, pas seulement au triangle !

L’aire et le périmètre, en même temps.

Voici donc comment trouver une droite qui divise l’aire et le périmètre en même temps. On commence par trouver une droite qui divise le périmètre en utilisant, par exemple, la méthode décrite ci-dessus. Dans le triangle ABC ci-dessous, d’aire K, on considère une telle droite QR. Cette droite divise le triangle en deux régions, une à gauche de la droite, d’aire rK, et l’autre à droite de la droite, d’aire (1r)K.thedudeminds_2015082606

Si la droite QR divise aussi l’aire du triangle, c’est-à-dire si r=1r=12, on a gagné ! La droite QR fait l’affaire. Si ce n’est pas le cas, et ce n’est probablement pas le cas, on détermine un sens à la rotation, par exemple antihoraire, et on déplace Q sur le périmètre du triangle sur d’une distance δ jusqu’à Q1. Pour que la droite partage toujours le périmètre, on déplace aussi R sur le périmètre du triangle, dans le même sens, sur une distance de δ jusqu’en R1. thedudeminds_2015082608

La nouvelle droite Q1R1 partage toujours le périmètre, tout comme la droite QR originale. Qu’arrive-t-il si on prend le demi-périmètre du triangle comme valeur de δ ? Le point R est envoyé en Q et vice-versa. La région à gauche de la droite se retrouve à droite de celle-ci et vice-versa. Autrement dit, l’aire de la région qui était au départ à gauche est passée de rK à (1r)K. L’aire de la région qui était au départ à droite est passée de (1r)K à rK. Si r<12, alors 1r>12 et si r>12 alors 1r<12. Les deux régions s’intervertissent leur rôle et, comme dans l’explication précédente, on peut conclure qu’il existe une position intermédiaire (une valeur de δ) pour laquelle les deux régions possèdent la même aire (r=1r=12). Voilà !

Sur le nombre de ces droites dans les triangles

Dans un triangle il y a peut-être plus d’une droite qui partage le périmètre et l’aire. Dans un triangle ABC, de côtés a, b, c avec a<b<c, il y a une, deux ou trois de ces droites, respectivement, si (a+b+c)2<2bc, (a+b+c)2=2bc ou (a+b+c)2>2bc.

On considère un triangle PQR, de côtés p, q, r et une droite coupant les côtés de l’angle P, à une distance θq de P sur le côté de mesure q et une distance θ1r de P sur le côté de mesure r. Cette droite partage le périmètre et l’aire, on a ici θ, θ1<1. L’inégalité est stricte, sans quoi la droite considérée passe par un sommet, et pour diviser l’aire il faudrait qu’il s’agisse d’une médiane. Or, puisque le triangle est scalène, la médiane ne partage pas le périmètre (on considérera les triangles équilatéraux et isocèles plus tard).thedudeminds_2015082609

Si la droite partage l’aire en deux parties égales, alors on a θqθ1rsin(P)2=12(qrsin(P)2)θθ1(qrsin(P)2)=12(qrsin(P)2)θθ1=12 ou, de manière équivalente, θ1=12θOn note ici qu’il suffit de considérer les valeurs de θ, θ1>12. En combinant les deux restrictions, on s’intéresse aux valeurs de θ et θ1 telles que 12<θ<1et 12<θ1<1

D’autre part, si la droite partage le périmètre, alors on a θq+θ1r=p+q+r2ou, de manière équivalente, 2θq+2θ1r=p+q+rOn substitue θ1 par 12θ dans l’équation précédente, 2θq+2(12θ)r=p+q+rce qui fait 2θq+1θr=p+q+rOn multiplie chaque côté par θ 2qθ2+r=(p+q+r)θou, de manière équivalente, 2qθ2(p+q+r)θ+r=0L’équation précédente est une équation quadratique en θ. On considère f(θ)=2qθ2(p+q+r)θ+rpour des valeurs de 12<θ<1On remarque que f(12)=2q(12)2(p+q+r)(12)+r=12q12p12q12r+r=12(rp) et aussi que f(1)=2q(1)2(p+q+r)(1)+r=2qpqr+r=qp

D’autre part, en complétant le carré, on obtient f(θ)=2qθ2(p+q+r)θ+r=2q(θ2p+q+r2qθ+(p+q+r4q)2(p+q+r4q)2+r2q)=2q((θp+q+r4q)2+r2q(p+q+r)216q2)=2q(θp+q+r4q)2+r(p+q+r)28q=2q(θp+q+r4q)2+8qr(p+q+r)28q

Ainsi, la fonction atteint son minimum en θ=p+q+r4q et ce minimum est 8qr(p+q+r)28q.

Il nous suffit maintenant d’examiner quelques signes.

Si P joue le rôle de B, autrement dit si p joue le rôle de b, et on se rappelle que a<b<c, alors f(12)=12(rp)et f(1)=qpsont de signes contraires (si q<p<r alors rp est strictement positif et qp est strictement négatif et si r<p<q alors rp est strictement négatif et qp est strictement positif). f(θ) prend donc la valeur de 0 sur cet intervalle et il y a dans ce cas toujours une droite qui coupe les côtés a et c.

Si P joue le rôle de C, autrement dit si p joue le rôle de c, le plus grand côté du triangle, alors f(12)=12(rp)est strictement négatif, f(1)=qpest strictement négatif et f(p+q+r4q)=8qr(p+q+r)28qest aussi strictement négatif. Le dernière affirmation nécessite peut-être une précision. Si p>q alors (p+q+r)2>(2q+r)2=4q2+4qr+r2=4q24qr+r2+8qr=(2qr)2+8qr8qr Il n’y a donc aucune valeur de θ entre 12 et 1 pour laquelle f(θ)=0. En d’autres mots, il n’y a aucune droite qui croise les côtés a et b.

Enfin, si P joue le rôle de A, autrement dit si p joue le rôle de a, le plus petit côté du triangle, f(12)=12(rp)est strictement positif et f(1)=qpest aussi strictement positif. Il y a donc aucune, une ou deux solutions selon la valeur de f(p+q+r4q)=8qr(p+q+r)28qSi 8qr(p+q+r)28q est strictement positif, il n’y a aucune valeur pour θ et aucune droite ne croise les côtés b et c. Si 8qr(p+q+r)28q est nul, alors il y a une valeur pour θ (qui, au passage, serait θ=p+q+r4q) et une droite qui croise les côtés b et c. Enfin, si 8qr(p+q+r)28q est strictement négatif, il y a deux valeurs pour θ et deux droites qui croisent les côtés b et c.

Comme 8q (le dénominateur) est strictement positif, on peut exprimer la condition sous la forme suivante 8bc(a+b+c)2>=<0ou 8bc>=<(a+b+c)2ce qui correspond au résultat attendu et énoncé plus haut dans ce billet. En comptant la droite qui croise les côtés a et c, on a une, deux ou trois droites selon que, respectivement, (a+b+c)2<=>8bc

Si le triangle est équilatéral, on a a=b=c et (a+b+c)2<=>8bcdevient (3b)2<=>8b2ou  9b2<=>8b2ou b2<=>0Or comme b2 est strictement positif, il y a toujours trois droites qui coupent le triangle. Ces trois droites sont les trois médianes (le cas θ=1 rejeté ci-haut dans le cas du triangle scalène). Si le triangle est isocèle et que les deux plus petits côtés du triangle sont isométriques, c’est-à-dire que a=b<c, alors (a+b+c)2<=>8bcdevient (2b+c)2<=>8bcce qui fait 4b2+4bc+c2<=>8bcou de manière équivalente, 4b24bc+c2<=>0et enfin (2bc)2<=>0Puisque le membre de gauche est toujours strictement positif (pour être nul, il faudrait avoir a=b=12c, or là, on n’a plus de triangle), il y a toujours trois droites. Enfin, si le triangle est isocèle mais ce sont les deux plus grands côtés qui sont isométriques, alors a<b=c et (a+b+c)2<=>8bcdevient (a+2b)2<=>8b2Puisque a, b>0(a+2b)2<=>8b2devient a+2b<=>22bpuis a<=>(222)bet enfin a<=>2(21)bPuisque 2(21)0,8284, mais que néanmoins 0,8284>0,5, selon la valeur de a et b=c, il peut y avoir une, deux ou trois droites comme dans le cas d’un triangle scalène.

Un exemple…

On considère à titre d’exemple le triangle scalène de côtés 40, 45 et 50.thedudeminds_2015082610Les sommets A, B et C et les côtés a, b et c sont placés comme il le faut. On constate d’abord que (40+45+50)2=1352=18225>8(45)(50)=1800 Il y a donc 3 droites possibles, une coupant les côtés a et c et deux coupant les côtés b et c. En remplaçant par les bonnes valeurs, on trouve d’abord les solutions à 2(50)θ2(40+45+50)θ+40=0ou, de manière équivalente, 100θ2135θ+40=0Les solutions de cette équation quadratique sont θ=2789400,493 et θ=27+89400,911. En se rappelant que θ1=12θet que 12<θ<1et 12<θ1<1seule la deuxième solution, θ=27+89400,911, est acceptée. On trouve, par ailleurs, θ1=1227+8940=2027+89 puis, en rationalisant, θ1=20(2789)72989=20(2789)640=2789320,549thedudeminds_2015082612

On trouve ensuite les solutions de 2(50)θ2(40+45+50)θ+45=0ou, de manière équivalente, 100θ2135θ+45=0Cette fois-ci les solutions sont θ=35 et θ=34 et les deux sont acceptées. La première nous donne θ1=12(35)=56 et la deuxième θ1=12(34)=23. Ces valeurs correspondent respectivement àthedudeminds_2015082614etthedudeminds_2015082613

On note au passage, en utilisant ce dernier cas à titre d’exemple, que l’aire du triangle rouge sur la figure est 30752sin(A)2=11252sin(A)ce qui correspond bien à la moitié de l’aire du triangle ABC 4550sin(A)2=1125sin(A)On observe aussi que 30+752=1352correspond aussi à la moitié du périmètre 40+45+50=135

[1] La démarche ci-dessus bien qu’intuitive, n’est pas parfaitement rigoureuse en ce sens qu’elle s’appuie tacitement sur des propriétés fondamentales des nombres réels et sur le théorème des valeurs intermédiaires de fonctions continues qu’on étudierait dans un cours d’analyse.

Références :

Niven, Ivan, Maxima and Minima Without Calculus, MAA, 1981

Dunkel, Otto and E. P. Starke, The American Mathematical Monthly, Vol. 49, pp. 64-68

2 thoughts on “Partage équitable

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Time limit exceeded. Please complete the captcha once again.